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le crépuscule des dieux

bas peuple et de canaille, se rua au Rocher de vin.

Il y eut là un incroyable désordre ; des clameurs, des coups, des bras levés, mille rixes et des imprécations, et d’aigres piaillements de femmes, dont beaucoup portaient des maillots au sein. Se plaisant par boutades aux scènes du populaire, le duc Charles avait commandé que l’on baissât toutes les glaces, et il considérait ce curieux spectacle, à travers son lorgnon à deux branches, tenu par un jaseron d’or, tout en fourrageant des sucreries dans un sachet, à ses côtés.

Mais soudain, il se renversa, saisi d’un accès d’hilarité. L’un de ces marauds de là-bas, quelque caboche inventive et profonde, avait eu l’industrie d’attacher une éponge au bout d’un bâton, et il pompait ainsi le vin commodément, de trois ou quatre rangs en arrière ; le Duc à cette vue, pris d’un rire énorme, avait laissé retomber son binocle, et les épaules lui allaient à étouffer. Puis au milieu de ses éclats, il donna l’ordre à d’Œls qu’on lui amenât le compagnon. Justement, à cet instant-là, l’homme se tirait de la foule ; un valet s’approcha de lui, glissa quelques mots à son oreille, et le drôle, qui tout d’abord, avait fait un bon saut de surprise, se hâta d’accourir près de la portière, où il se plongeait en courbettes, sans lever les yeux du sol, et répétant continuellement :

Ah ! grand princé ! Douc magnanimé !

Ce cruel accent italien redoubla l’hilarité du