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soient sa tendance ethnique, sa race, ses croyances religieuses ou philosophiques, est capable de raison. Deux forces, dans l’individu, concourent au développement de sa conscience et à la formation de sa moralité : sa sensibilité et sa raison.

Sa sensibilité est double. Elle n’est, d’abord, qu’une explosion de l’instinct vital, du besoin de tous les êtres de se développer aux dépens du milieu, au détriment d’autres êtres dont la mort paraît nécessaire à leur propre vie. Mais il existe également une autre forme de l’instinct, qui le rend sensible à la souffrance d’autrui ; c’est celle qui crée entre la mère et l’enfant, puis entre le père et le fils, plus tard entre les hommes de la même tribu, du même clan, un lien d’ordre moral ; c’est l’instinct de sympathie, qui permet de combattre et de limiter l’instinct brutal et égoïste.

Un grand philosophe français, critiquant la doctrine d’après laquelle « on ne pouvait souhaiter autre chose à une race que de parvenir au plein développement de son énergie et de sa faculté de puissance », disait qu’il n’y avait là qu’une vue incomplète de ce qu’est l’homme.

C’est prendre l’homme isolément et voir en lui un bel animal, puissant et redoutable. Or, l’homme pris tout entier est l’homme en société et qui se développe : la race supérieure est celle qui est apte à la société et au développement commun.

À ce titre la bonté, le besoin de sociabilité et, à un degré plus élevé, le sentiment de l’honneur, sont des dons spontanés, précieux entre tous et aussi naturels que les autres instincts. Or, ces sentiments existent dans la collectivité d’une Nation comme dans chacun des individus qui la composent. Les faire prédominer sur les poussées de l’égoïsme individuel, c’est la tâche même de la civilisation : il ne faut pas que la puissance de l’individu barre la route dans l’État au reste de la Nation. Il ne faut pas que la puissance d’une Nation barre, dans l’Humanité, la route à l’ensemble de l’Humanité.

Mais l’homme n’a pas en lui que de la sensibilité égoïste ou altruiste ; c’est la raison qui est le propre de l’homme. C’est elle qui, chez l’enfant, d’abord incertaine et fragile, puis croissant en puissance, l’amène à concilier dans une harmonie consciente et durable, et non plus par impulsions violentes et contradictoires, les deux tendances de sa sensibilité. C’est elle qui, depuis le commencement de l’Histoire, amène peu à peu les hommes, au cours des civilisations successives, à reconnaître qu’il y a un état préférable à celui de la lutte brutale pour la vie, un état moins périlleux, seul conforme aux révélations de sa conscience et qui est, sous des formes toujours plus complexes et plus solides, le véritable état de société.