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seulement espérée, contre toute espérance raisonnable, d’une lutte préalable entre les hommes d’un même pays.

Loin d’opposer l’idée de patrie à l’idée d’humanité, il faut, en effet, affirmer avec force que les hommes qui servent le mieux la cause de la paix sont, en vérité, les plus patriotes. La patrie est, elle ne peut être que l’élément organique, par excellence, de toute Société des Nations. De même que la constitution de la famille est à la base de la constitution de la Nation, c’est entre les patries seules que peuvent s’établir les liens qui constitueront la vie d’une Société internationale.

La guerre de 1914-1918, qui a été une guerre de libération des nationalités, n’a pu que surexciter ce sentiment national. Elle a donné aux tendances intellectuelles et morales, qui constituent le sentiment de la patrie, une force plus grande ; elle a rendu ce sentiment, légitime entre tous, plus jaloux. Il en résulte que l’organisation internationale projetée doit reposer en dernière analyse non seulement sur la souveraineté intangible de chaque état, mais sur l’égalité de droits entre tous, qu’ils soient puissants ou faibles, grands ou petits. C’est entre des États régulièrement constitués, et seulement entre eux, qu’il peut s’agir d’établir le règne du droit.

Pour les mêmes raisons, on ne pouvait songer à une organisation s’imposant du dehors aux États. L’idée d’un sur-État, d’une volonté obligeant les organes souverains de chacune des Nations, eut amené la révolte du patriotisme. Ce qui était à la fois nécessaire et suffisant, c’est que chacune des Nations comprît que le consentement mutuel à certains principes de droit, à certains accords reconnus comme également profitables aux divers contractants ne constituait nullement un abandon de souveraineté, pas plus que, dans le domaine des intérêts privés, le contrat n’est une renonciation à la liberté, mais l’usage réfléchi et reconnu avantageux aux deux parties, de cette liberté elle-même.



Mais quelle est donc la condition fondamentale de ce consentement mutuel, la condition exigible pour qu’il soit donné sans arrière-pensée, pour que le sentiment existe, de part et d’autre, que rien d’essentiel, qu’aucun intérêt vital ne sera sacrifié par l’une des Nations contractantes ?

Il faut qu’il y ait une règle supérieure, une norme souveraine à laquelle chacun des accords puisse être comparé, comme, dans le domaine des sciences, l’homme, se défiant de ses sens incertains, se reporte, pour la comparaison et la mesure des phénomènes, au témoignage d’instruments invariables que le coefficient d’erreurs personnelles ne pourra, en aucun cas, influencer.

Dans l’ordre moral, c’est le droit, proclamé en dehors de toute