Page:Bourgeois - Les Raisons de vivre de la Société des Nations, 1923.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui donne aux malheureux humains une halte dans la souffrance, un court instant de sécurité.

Mais une nouvelle période de combats allait, à son tour, bouleverser l’Europe, avec les Guerres de religion, les plus cruelles, peut-être, puisqu’elles obligent la conscience elle-même à répudier la pitié et semblent élever l’une contre l’autre les deux forces qui s’étaient jusqu’alors partagé le monde : le sentiment et la raison. Et c’est seulement au 18e siècle qu’il appartiendra, en fin de compte, de les réconcilier.

La Déclaration des Droits de l’Homme affirmaient enfin, pour l’Humanité toute entière, les principes de justice sans lesquels il serait toujours impossible de fonder une véritable paix.

Que de souffrances, que de sang il a fallu, pourtant, pendant encore plus d’un siècle, pour qu’on puisse enfin espérer l’application des principes de morale vraiment humaine proclamés par la Révolution française ! Il a fallu, comme dit Taine, « multiplier les idées, établir la délibération préalable dans l’intelligence consciente, grouper les pensées humaines, par un travail conscient encore, autour de préceptes acceptés : bref, refaire, sous la dictée de l’expérience, l’intérieur de la tête humaine ».

La plus grande révolution de l’Histoire n’est-elle pas celle qui a permis à la raison de considérer vraiment l’Humanité toute entière comme sujet du droit et de reconnaître le titre d’homme à tous les humains.

Tous les hommes égaux en droits et en devoirs, solidaires du sort de l’Humanité, quel rêve !

L’idée du droit, maîtresse du monde, va-t-elle enfin donner raison à la raison ?


III


Sommes-nous arrivés à un développement de la moralité et de la civilisation universelles qui nous permette de considérer comme viable une Société des Nations ? Si elle est possible, quels sont les caractères et les limites mêmes qu’elle doit présenter pour correspondre à l’état actuel du monde ?

Certes, un progrès immense s’est déjà réalisé dans l’organisation politique, sociale, morale du plus grand nombre des États.

L’extension de l’instruction publique dans presque toutes les parties du globe agit puissamment sur les esprits ; la prédominance des institutions démocratiques s’affirme dans tous les États civilisés ; la régression des préjugés de caste, qui s’opposent au passage d’une classe à l’autre