Page:Bourgeois - Le spectre du ravin, 1924.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

seaux, après la décision prise et racontée plus haut.

Aussitôt qu’on put se procurer un prêtre, le mariage de Marielle et de Jean, d’Ylonka et de Maurice eut lieu dans la petite chapelle de l’île, puis, le jour même, on partit.

Comme on ne voulait laisser rien de vivant sur l’île, les chèvres avaient été expédiées à Montréal, car M. Jambeau avait dit à Marielle que sa propriété était entourée d’un terrain assez vaste pour y parquer Brise et Bise. Max emportait, dans un panier, Toute-Blanche, et Léo, inutile de le dire, suivait son maître.

Arrivés à Québec, M. Jambeau quitta les deux jeunes couples, et il partit pour Montréal, accompagné de Max, de Nounou et de Firmin.

— Nous allons préparer la maison pour vous recevoir, dit M. Jambeau à Marielle et Jean, Vous, amusez-vous bien. Écrivez-moi avant de partir de Québec et je serai à l’hôtel pour vous recevoir à votre arrivée à Montréal. Au revoir donc, mes enfants !

Les deux jeunes couples furent huit jours dans la ville de Québec. Or, Marielle n’avait jamais quitté le Rocher aux Oiseaux, et tout ce qu’elle voyait la remplissait d’étonnement et l’émerveillait.

Quand on arriva à Montréal, M. Jambeau, selon sa promesse, était rendu à l’hôtel pour attendre les jeunes mariés. Le lendemain, à cinq heures de l’après-midi, il devait venir chercher Marielle et Jean pour les emmener chez lui.

— Mes enfants, leur dit-il, vous ne serez pas longtemps chez moi, car je viens de signer un acte de donation de ma propriété à Marielle ; de cette manière, c’est moi qui serai chez-vous, et non vous chez moi.

Jean alla reconduire M. Jambeau jusqu’à sa voiture, c’est-à-dire une voiture qu’il avait louée pour venir à l’hôtel ; il n’était pas probable que ce bon M. Jambeau, vivant seul avec un domestique, eut une voiture à lui, n’est-ce pas ?

Au moment où M. Jambeau allait partir, Jean entendit une voix qui l’interpellait ainsi :

— Serait-ce, par hasard, Mon cher ami Jean Bahr ?

— Le Capitaine Brunel ! s’écria Jean, avant même de tourner la tête dans la direction de la voix.

Le Capitaine Brunel (car c’était bien lui) s’approcha de la voiture, et Jean, après lui avoir pressé la main et lui avoir dit et redit le plaisir qu’il éprouvait à le revoir, le présenta à M. Jambeau.

— M. Jambeau, dit Jean, je vous présente une vieille connaissance à moi : le Capitaine Brunel. Capitaine Brunel, M. Jambeau.

Au nom de M. Jambeau, le Capitaine Brunel fit un mouvement de surprise ; mais, ni M. Jambeau, ni Jean ne s’en aperçurent.

— M. Jambeau, reprit Jean, le Capitaine Brunel m’a rendu service déjà, en me prenant à son bord, alors que j’étais un peu fatigué de manier l’aviron… C’était en me rendant à Halifax.

— Ce fut sans sacrifice
Que je rendis service
À l’excellent Jean Bahr,
En l’accueillant à bord, dit le Capitaine Brunel, en s’adressant à M. Jambeau.

— Où demeurez-vous, Capitaine Brunel ? demanda M. Jambeau, que cet original semblait beaucoup intéresser et amuser.

— Je demeure dans un quartier peu aristocratique, répondit le Capitaine Brunel, en riant. Mais il donna son adresse à M. Jambeau, qui l’inscrivit dans son calepin.

— Au revoir, Capitaine Brunel ! dit ensuite M. Jambeau. À demain, Jean ! Puis M. Jambeau partit.

— Et comment vont les affaires, Capitaine ? demanda Jean.

— Mal, Jean Bahr, mal ! Je suis « à l’ancre » dans le moment… Mon bateau a brûlé, il y a deux semaines et…

— Mon pauvre ami ! dit Jean. Eh ! bien, nous nous reverrons ; je désire beaucoup vous présenter à ma femme, Capitaine.

— Ah ! Vous étés marié ? Y a-t-il longtemps ?

— Depuis un peu plus d’une semaine, seulement. Au revoir, Capitaine Brunel ! Je suis très heureux de vous avoir rencontré, et j’irai vous rendre visite bientôt, si vous me le permettez.

Vers les quatre heures de l’après-midi, ce jour-là, Ylonka et Maurice partaient pour leur résidence, située dans un des quartiers les plus aristocratiques de la ville ; mais on se promit, de part et d’autre, de se voir souvent. Aussitôt après le départ de leurs amis, Jean et Marielle prirent une voiture et se firent conduire chez Mlle Solange. Mlle Solange habitait une maison princière, dans une des principales rues. Jean descendit de voiture ; il allait annoncer la grande nouvelle du recouvrement de Marielle et aussi celui de leur mariage, avec toutes les précautions possibles, à M. et Mme Dupas, ainsi qu’à tante Solange.

Bientôt, Jean revint à la voiture chercher sa femme, afin de la conduire auprès de son père, de sa tante, et aussi de sa belle-mère qui, impatiemment l’attendaient. Ce fut une touchante réunion. Pierre Dupas et tante Solange pleuraient, Cette pauvre Mme Dupas n’osait s’approcher de celle qu’elle avait si cruellement persécutée ; mais Marielle courut vers sa belle-mère, et l’entourant de ses bras, lui donna le baiser du pardon. Mme Dupas sanglotait tout haut dans sa joie et son repentir.

Marielle et Jean soupèrent (ou plutôt dînèrent ) et veillèrent chez Mlle Solange. Vers les dix heures, ils se levèrent pour partir.

— Comment ! Vous partez ! Mais… j’étais sous l’impression que vous alliez fixer ici votre demeure ! Ma maison est assez grande pour nous contenir tous, ce me semble !

— Chère tante Solange, répondit Marielle, nous vous remercions de votre offre généreuse… Mais, nous allons demeurer avec M. Jambeau…

— Avec M. Jambeau ! s’écria Mlle Solange. Ah !…

— M. Jambeau a une petite propriété dans cette ville, tante Solange, reprit Marielle, et avant même que nous eussions quitté le Rocher aux Oiseaux, c’était entendu que nous irions demeurer avec lui, chez lui.

— M. Jambeau aime tant Marielle, dit Jean, qu’il lui a demandé, en grâce, de ne pas le quitter… Afin que nous soyons tout à fait à l’aise chez lui, ce bon M. Jambeau a transféré sa pro-