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Max expliqua ses malheurs à Jean, puis il ajouta :

— Elle a fouetté les chèvres Mlle  Vallier, puis elle est partie par là…

— Du côté de la Grande Coulée ? demanda Jean.

— Oui, mon oncle Jean, du côté de la Grande Coulée.

Jean et Maurice se regardèrent : du côté de la Grande Coulée, les rochers tombaient très à pic dans le golfe… Les chèvres, lancées à fond de train… il fallait aller voir… Et tous deux partirent à toutes jambes, dans la direction de la Grande Coulée…

Était-ce un accident ?… Était-ce un suicide ? … Jamais on ne le saurait.

Quand les deux jeunes gens parvinrent à la Grande Coulée, ils virent, au pied d’un rocher, le corps de Louise Vallier qui flottait sur l’eau. Un peu plus loin, ils virent les chèvres de Marielle qui nageaient encore, quoiqu’elles fussent très embarrassées de la petite voiture qu’une courroie en cuir retenait encore à l’attelage.

Ni Jean ni Maurice ne savaient nager ; heureusement, il y avait, tout près une chaloupe, dans laquelle les deux jeunes gens sautèrent.

Non sans risquer de chavirer, ils parvinrent à placer le corps de Louise Vallier dans la chaloupe, puis ils l’étendirent sur la grève, essayant de tous les moyens pour faire renaître à la vie la pauvre malheureuse… Mais ce fut inutile : Louise Vallier était déjà rendue devant le Grand Juge !…

La nouvelle se répandit vite sur le Rocher, car les chèvres, que Jean avait débarrassées de la courroie qui les retenaient à la voiture, les chèvres, dis-je, étaient passées, comme un ouragan, sur l’île, se dirigeant vers le « Gîte ». M. et Mme Brassard, ainsi que le domestique de M. Jambeau étaient au magasin, et voyant arriver les chèvres affolées, ils étaient allés aux renseignements. Max leurs raconta comment Mlle Vallier était venue au « Gîte », lui donnant l’ordre d’atteler Brise et Bise. Il dit que Mlle Vallier avait fouetté les chèvres et que celles-ci étaient parties, à fond de train, dans la direction de la Grande Coulée. Max raconta tout… excepté l’incident du coup de fouet qu’il avait reçu ; l’enfant, pressentant un malheur, avait, avec une délicatesse innée, tu cet acte de cruauté.

Deux jours plus tard, eurent lieu les funérailles de Louise Vallier. Tous les habitants de l’île assistèrent, car leur sympathie était grande pour la famille Dupas, si éprouvée depuis quelques temps.

Le soir des funérailles Jean Bahr convoqua une assemblée générale dans son magasin. À cette assemblée, il procéda à la justification de Marielle, preuves en mains. Certes, personne n’avait cru à la culpabilité de la jeune fille, il est vrai ; mais Jean ne voulut pas laisser même l’ombre d’un doute dans l’esprit de qui que ce fut.

Le lendemain étant un dimanche, tous assistèrent à l’office du matin, Mme Brassard récitant les prières et jouant l’harmonium, maintenant que Marielle n’y était plus. Pour plusieurs d’entr’eux, c’était le dernier dimanche qu’ils devaient passer sur l’île ; de fait, le lendemain, les Brassard, les Rust et les Paris devaient quitter, dès l’aube, le Rocher aux Oiseaux, pour toujours.


CHAPITRE XV

DÉPARTS


Le soir de ce même jour, Jean et Maurice veillaient chez M. Jambeau, quand, tout à coup, Firmin s’écria :

— Voyez donc, Messieurs, cette lueur ! Ne dirait-on pas un feu ?

Jean s’approcha d’une fenêtre, et aussitôt, il s’écria :

— Oui, c’est un feu ! La « Villa Magdalena » en flammes ! Courons. Leroy !

— Un feu ! Ciel ! Par cette sécheresse ! Et la brise qui souffle « en grand », depuis ce midi ! s’exclama M. Jambeau.

Jean et Maurice partirent en courant. Oui, le feu était à la « Villa Magdalena ». M. Paris ayant fait brûler un gros paquet de linge et de paperasse, avait, accidentellement, mis le feu. Un simple feu de cheminée, il est vrai ; mais le vent soufflait grande brise ; de plus il n’avait pas plu depuis trois semaines et tout était d’une extraordinaire sécheresse.

Quand les jeunes gens arrivèrent à la villa, elle n’était plus qu’une masse de flammes, et « Charme Villa » commençait à brûler : Maurice put sauver son précieux violon et quelques menus objets ; mais la villa elle-même était condamnée.

Maniant des pompes à bras et jetant force seaux d’eau, Jean, Maurice, M. Brassard, M. Rust, et même Max essayaient d’enrayer les flammes. Bientôt, Pierre Dupas arriva sur les lieux, donnant, lui aussi, toute l’aide possible. Mais, hélas, voilà la « Villa Riante » qui commence à brûler… et rien à faire !

M. Jambeau ! cria soudain Jean. La « Villa Bianca » est aussi menacée ; il faut y courir !

— Allez-y, Bahr ! Vous aussi, Leroy ! Il vous faudra sortir M. Jambeau sur un brancard et le faire transporter au « Manoir-Roux » ; c’est le plus proche… M. Dupas et moi nous allons continuer à essayer de combattre le feu. Un coup de main ici, s’il vous plaît. M. Rust ! Max, donne-moi cette pompe ! s’écria M. Brassard.

Jean et Maurice entrèrent chez M. Jambeau. Ce pauvre M. Jambeau, sans songer au réel danger qu’il courait lui-même, essayait d’empaqueter ses livres dans des caisses, aidé de Firmin.

— M. Jambeau, dit Jean, le feu est à la « Villa Riante », et toutes les villas vont y passer ! Nous allons vous transporter immédiatement au « Manoir-Roux », immédiatement !

— Mes livres ! Le piano de Marielle ! disait M. Jambeau.

— Hélas, cher ami, il ne faut pas vous occuper de ces choses ! Maurice et moi nous sauverons ce que nous pourrons. L’important, c’est que vous soyez en sûreté. Aidez-moi, Firmin ; à nous deux… Ah ! voilà M. Rust ; il va nous donner un coup de main !

De la « Villa Bianca », la « Villa du Rocher » brûla jusqu’au sol, puis ce fut le tour de la « Villa Grise »…

Ainsi, de ces six villas que Jean avait construites avec tant de peine, il ne restait qu’un