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verres et du petit entonnoir, que vous aviez laissés sur la table… et les emportai chez moi…

« Je ne vaux pas cher peut-être, Mlle Louise Vallier, mais c’est la première fois de ma vie que je me suis trouvé en contact avec le crime… Certes, j’étais loin, bien loin, de me douter du crime que vous méditiez ?… Ce qui m’a empêché de vous soupçonner tout à fait, c’est cette conversation que j’avais entendue, entre vous et une autre personne, à l’étage supérieur… Ah ! si j’avais véritablement cru que vous prépariez un meurtre, je vous aurais empêchée de l’accomplir…

« Quand, vers les trois heures de l’après-midi, j’appris que Bébé Guy était mort, empoisonné, je compris tout… Quand j’appris que Mlle Dupas avait été arrêtée par le policier Rust, pour un crime que « vous » aviez commis, je crus que j’allais perdre la raison… Je vous aimais trop pour vous accuser ; d’un autre côté, je me rendais, en quelque sorte, complice du plus infâme des crimes, en me taisant… Vous êtes une empoisonneuse, Mlle Louise Vallier, et…

— De grâce ! Oh ! de grâce, ne me trahissez pas ! sanglota Louise Vallier. Je regrette ce que je vous ai dit, tout à l’heure et, si vous le désirez encore, je serai votre femme.

— Vous le jurez, Louise ? Vous serez ma femme, si je garde le secret de votre culpabilité ?

— Je le jure !… Oh ! de grâce, de grâce, continuez à vous taire !

— Je continuerai à me taire, du moment que…

Mais Charles Paris ne put achever sa phrase : saisi par les bras, soudainement, il aperçut, en tournant la tête, qu’il était, pour ainsi dire prisonnier de Maurice Leroy, tandis que Jean Bahr tenait fermement, de son côté, Louise Vallier, qui faisait d’inutiles efforts pour se libérer.


CHAPITRE XIII

LE BAISER DU PARDON


— Misérables ! Misérables que vous êtes tous deux ! s’écria Jean. Vile empoisonneuse ! Vile complice ! Ah ! vous allez, Mlle Vallier, payer de votre vie le terrible crime que vous avez commis !

— Grâce ! Grâce ! C’est tout ce que pouvait articuler Louise Vallier. Ayez pitié, M. Bahr !

— Pitié ! tonna Jean. Avez-vous eu pitié, vous ?… Avez-vous eu pitié de votre pauvre petit frère Bébé Guy ?… Avez-vous eu pitié de cette douce victime, mon innocente et pure Marielle ? … De la pitié ? Jamais !

— Nous avons tout entendu ! dit, en ce moment, la voix de Mlle Solange. J’étais là, avec Nounou. Oh ! misérable folle ! s’écria-t-elle, en s’approchant de Louise Vallier. Mais, vous allez être arrêtée, sur l’heure !… Nounou, acheva Mlle Solange en se tournant du côté de la servante, courez chercher M. Rust ; dites-lui que nous avons trouvé l’empoisonneuse de Bébé Guy. Qu’il vienne immédiatement !

Mlle Solange, intervint Jean, j’aurais autre chose à proposer… Je vais écrire une confession détaillée du crime, et Mlle Vallier signera cette confession. De cette manière, nous éviterons un procès, dans lequel le nom des Dupas serait par trop souvent mentionné… Si Marielle n’avait pas disparu, nous n’aurions pas eu même cette pitié pour l’empoisonneuse de Bébé Guy ; mais cette confession suffira, pour le moment, ne le pensez-vous pas ?

— Peut-être avez-vous raison, Jean, répondit Mlle Solange. Jamais une tache n’a terni notre nom jusqu’ici et…

— Je vais rédiger le document tout de suite, dit Jean, qui se mit à écrire rapidement.

Quand la confession fut prête, Jean s’approcha de Louise Vallier et dit :

— Signez ce document, Mlle Vallier, Mlle Solange, M. Leroy, Nounou et moi nous signerons ensuite, comme témoins.

— Et si je refuse de signer ? demanda Louise, avec un de ses sourires sots que tous détestaient tant.

— Refusez, une fois seulement, de signer cette confession, Mlle Vallier et Nounou ira immédiatement chercher M. Rust, puis, bientôt vous coucherez dans une cellule de prison de Québec… À vous de choisir !

Louise Vallier, comprenant que ce n’était plus le temps de rire, prit la plume de la main de Jean, puis, fermement, elle signa. Mlle Solange. Jean, Maurice et Nounou ayant signé le document à leur tour, comme témoins, tous s’approchèrent alors de Charles Paris.

— Vous, Monsieur, dit Jean, vous signerez aussi un papier que je vais préparer, disant que vous avez vu Mlle Louise Vallier dans l’accomplissement de la première partie de son crime. Ensuite, M. Leroy et moi irons chez-vous, et vous nous remettrez les deux verres et le petit entonnoir… Vous comprenez, n’est-ce pas ?… Considérez-vous chanceux de ne pas être arrêté, comme complice, puisque vous avez vu préparer le crime et n’avez rien dit.

— M. Bahr, répondit Charles Paris, j’ai agi comme vous l’eussiez fait vous-même, à ma place… Auriez-vous trahi Mlle Dupas, vous, si…

— Taisez-vous ! Taisez-vous ! cria Jean, en colère. Mlle Dupas était un ange d’innocence et de pureté, incapable, conséquemment, d’imaginer un si terrible crime… N’avez-vous pas compris que Mlle Vallier est une détraquée ?… Je le sais depuis longtemps qu’elle est folle ; mais j’étais loin de me douter qu’elle fut une folle dangereuse… Vous allez donc. M. Paris, signer le document que je vais rédiger, puis…

Jean s’arrêta court : M. et Mme Dupas venaient d’entrer, et ils s’arrêtaient, stupéfaits, sur le seuil de la porte. Alors, Mlle Solange s’approcha d’eux et dit, en désignant Louise Vallier :

— Mon neveu Pierre, et vous aussi, Madame, je vous présente l’empoisonneuse de Bébé Guy !

— Je le savais !… murmurèrent, en même temps, M. et Mme Dupas.

— Vous le saviez ! s’écrièrent-ils tous.

— Tu le savais, neveu Pierre ! reprit Mlle Solange. Vous le saviez, Madame !… Pourtant, Mme Dupas, vous avez hautement accusé Marielle du plus abominable des crimes… Tu le savais, Pierre !… Pourtant, tu as laissé arrêter ta fille : plus que cela, tu l’as maudite, en la présence de tous !

— Mon Dieu ! s’exclama Pierre Dupas, je le sais maintenant, je le sais depuis le matin de la disparition de Marielle… et j’en meurs !

— Laissez-moi parler ! dit Mme Dupas. Quand j’ai accusé Marielle, Dieu sait que je la croyais