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— Qu’y a-t-il, Léo ? demanda Jean, en flattant le chien, qui le regardait d’un air pitoyable et intelligent à la fois. Tu es allé au « Manoir-Roux » pour voir Marielle, hein, et tu n’as pu la voir ? dit Jean.

Léo, comme pour répondre à son maître, jeta la tête en arrière et se mit à hurler de la plus terrible façon.

Maurice se dit qu’il allait profiter de ce moment pour parler.

— Jean dit-il, Léo a dû aller au « Manoir-Roux » pour voir Mlle Marielle, en effet, et s’il a l’air si triste, c’est qu’il n’a pu l’apercevoir… Mlle Marielle n’est plus sur le Rocher aux Oiseaux !

— Vous dites, Leroy ? s’écria Jean.

— Hélas, hélas, pauvre Jean !… Il s’est passé de terribles choses ici, pendant votre absence… D’abord, Bébé Guy est mort…

— Bébé Guy mort ! s’exclama Jean. Oh ! pauvre cher Bébé Guy ?… De quoi est-il mort, Maurice ? L’enfant était en parfaite santé quand j’ai quitté le Rocher… Mais, Maurice, Marielle… parlez-moi de Marielle !…

Mlle Marielle… commença Maurice.

— Quelle douleur elle a dû ressentir du décès de son petit frère qu’elle adorait ! Pauvre Marielle ! Vous avez dit qu’elle avait quitté l’île ?… Où est-elle allée ? À la Grosse île, je présume ?… Quand reviendra-t-elle ?… Demain le plus tard, je pense, puisque nous nous marierons après demain. Et Jean se mit à rire.

Alors, Maurice, avec d’infinies précautions, raconta tout : la grave maladie de Bébé Guy, puis sa presque guérison, la défense réitérée de Mme Dupas à Marielle d’approcher de son enfant… Il parla de la position où Marielle s’était trouvée, la veille, quand avait sonné l’heure de donner les remèdes au petit malade… Il raconta l’arrivée de Mme Dupas alors que sa belle-fille était à administrer la potion à Guy, puis la mort soudaine du petit, arrivée moins de cinq minutes après qu’il eut avalé les remèdes.

La voix tremblante d’émotion, Maurice parla ensuite de l’accusation de Mme Dupas, et il termina ainsi :

— Hélas ! Bahr !… Le médecin ayant juré, après avoir fait l’analyse des remèdes, que la potion et la lotion avaient été changées de bouteille, par une main criminelle, il a obligé le policier Rust d’arrêter Mlle Marielle. Votre fiancée, Jean, a donc été arrêtée, puis retenue prisonnière dans le salon du « Manoir-Roux », en attendant que…

Jean, que d’affreux sanglots secouaient depuis le commencement de ce récit, se leva d’un bond ; le visage tout défait, les yeux hagards, il était pitoyable à voir.

— Les fous ! Les misérables fous ! s’écria-t-il. Accuser et faire arrêter Marielle, cet ange, qui adorait son petit frère et… Qu’ils soient maudits, maudits, ceux qui ont osé l’accuser ou même la soupçonner d’un pareil crime mon innocente et pure fiancée !

— Jean ! murmura Maurice.

— Prisonnière dans le salon du « Manoir-Roux », avez-vous dit, Leroy ?… Je m’en vais la délivrer, malgré tous les policiers de la terre… Marielle ! Oh ! les fous ! les fous !… Oui, qu’ils soient mille fois maudits !

Ce disant, Jean se dirigea vers la porte du « Gîte ».

— Bahr, mon pauvre cher ami, demanda Maurice, où allez-vous ?… Ne vous ai-je pas dit que Mlle Marielle n’était plus sur le Rocher aux Oiseaux ?…

— C’est vrai !… Où est-elle ?… Oh ! ne me dites pas qu’elle est déjà en route pour la prison de Québec !… Mon Dieu ! Mon Dieu ! et Jean éclata en sanglots.

— Non ! Non, Bahr !… Mlle Marielle s’est enfuie…

— Elle s’est enfuie, dites-vous ?… Qui lui a aidée à fuir ?… Est-ce vous Maurice ?… Où est-elle ma Marielle chérie ?….

— Jean, répondit Maurice, Mlle Marielle a mystérieusement, très mystérieusement disparu.

— Disparu ! s’écria Jean.

Maurice raconta ensuite l’étrange disparition de la jeune prisonnière, et comme Jean pleurait en l’écoutant, il ajouta :

— Jean, à huit heures, ce matin, Mlle Marielle devait partir pour la prison de Québec, accompagnée de M. Rust et de Nounou ; cette dernière ne voulant pas abandonner sa jeune maîtresse… Nous étions tous au bord de la grève pour assister à ce triste départ, que nous n’aurions pu empêcher il est vrai ; mais contre lequel nous voulions protester en corps… Vous étiez absent, Bahr, et nous le déplorions ; cependant, les amis de Mlle Marielle et les vôtres étaient tous présents : M. et Mme Brassard, Mlle Lillian, Rust, Mlle Solange, mon père, et même M. Jambeau qui avait couché au « Gîte », afin d’être près du lieu de départ… C’est Nounou qui est venue nous avertir de ce qui se passait : Mlle Marielle avait disparu… La fenêtre du salon, qui avait été clouée à l’extérieur, avait été trouvée intacte… La porte du salon, la seule autre issue du salon, était fermée à clef, M. Rust gardant cette clef dans sa poche… La nuit entière, le policier avait monté la garde devant le salon. Vers les deux heures du matin, il était entré dans la pièce et il avait vu Mlle Marielle couchée sur un canapé et dormant profondément… Cependant, quand, à sept heures, ce matin, Nounou vint apporter le déjeuner de votre chère fiancée, Jean, celle-ci avait disparu, sans laisser de trace… M. Rust a sondé les murs et les plafonds du salon, afin de s’assurer qu’il n’existait aucun panneau secret ; inutile de vous dire qu’il n’en existe pas…

— C’est étrange, étrange ! murmura Jean.

— C’est la disparition la plus étrange imaginable… Mais, songez-y, mon ami, cette disparition devrait vous soulager, comme elle nous a soulagés, tous. Si elle n’avait pas disparu, Mlle Marielle serait, en ce moment, en route pour Québec et…

— Marielle ! Ô ma bien-aimée ! pleurait Jean.

Quelqu’un frappait à la porte du « Gîte » et Max (qui pleurait toutes ses larmes en voyant la douleur de son « oncle Jean », comme il appelait celui qui l’avait adopté), Max donc alla ouvrir, et Pierre Dupas entra. Pierre Dupas, dont les cheveux avaient blanchi, depuis la veille, Pierre Dupas, qui, quoiqu’il ne fût âgé que de quarante-sept ans, avait l’air d’un vieillard.

En entrant, Pierre Dupas salua le prêtre et demanda :