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CHAPITRE X

LES AMIS DE MARIELLE


Marielle, en revenant de l’évanouissement où l’avait jetée la terrible accusation de sa belle-mère, vit que la chambre était remplie de monde. Elle aperçut, d’abord, son père, qui, le visage pâli jusqu’aux lèvres, marchait de long en large, de grosses larmes coulant sur ses joues.

Marielle vit, ensuite, Mme Dupas, qui, assise dans un fauteuil, pressait dans ses bras le cadavre déjà refroidi de son enfant, que le Docteur Jasmin essayait de lui enlever.

À côté d’elle, sur un canapé, où des mains charitables l’avaient déposée, Marielle aperçut Mme Brassard et Lillian Rust qui pleuraient. Debout, à côté d’elle aussi, était Mlle Solange, le visage pâle et rigide. À genoux à ses pieds était Maurice Leroy, qui lui baisait les mains, tandis que des larmes coulaient de ses yeux.

Un peu plus loin, Marielle vit M. Leroy père, qui la regardait avec grande compassion. Non loin du groupe formé par Mme Dupas et le médecin, était M. Rust, les bras croisés sur sa poitrine.

Le Docteur Jasmin parlait :

— Une dose de poison, pouvant causer la mort d’un adulte, a été administrée au petit malade, disait-il.

Marielle passa, à plusieurs reprises, la main sur son front, puis elle s’écria :

— Qu’y a-t-il ?… Je me souviens !… Cette femme…

— De grâce, Mlle Marielle, supplia Maurice Leroy, de grâce, ne proférez pas un mot, pas un !

M. Rust vint auprès du canapé et dit à la jeune fille :

Mlle  Marielle, suivez le conseil de M. Maurice Leroy ; il est sage… Toutes vos paroles pourraient revenir contre vous un jour…

— Mais… je ne comprends pas… reprit Marielle. Mme Dupas a dit…-

— Marielle, intervint brusquement Mlle Solange, tais-toi ! Tu es dans le plus grand danger imaginable, ne l’oublie pas !

— Un danger ?… demanda Marielle.

Mais la voix du médecin l’interrompit :

Mlle  Marielle Dupas a passé l’après-midi seule dans cette maison… ou, du moins, voici : j’étais sorti avec M. Dupas, Mme Dupas dormait, dans la chambre à côté de celle-ci, la vieille servante Nounou était absente. Mlle Vallier était sur la véranda ; plusieurs l’ont vue et l’ont saluée en passant… À neuf heures et demie, ce matin, j’ai moi-même administré les remèdes à l’enfant, qui, immédiatement, en a éprouvé du soulagement… Vers les trois heures, cet après-midi, Mlle Dupas est entrée, à pas de loup, dans la chambre de sa belle-mère ; celle-ci, feignant le sommeil, a parfaitement entendu la jeune fille dire, entre haut et bas : « Comme elle dort ! C’est le temps ! » Puis Mlle Dupas, malgré la défense réitérée qui lui en avait été faite, entra dans cette chambre, et fit prendre, de force, à son petit frère, une potion, dont il mourut moins de cinq minutes après… Officier Rust, faites votre devoir !

Lillian bondit vers son père, et entourant son cou de ses bras, dit, en sanglotant :

— Père ! Père ! Ne faites pas cette affreuse chose ! Vous le regretteriez toute votre vie !… Ô père chéri !… Marielle…

Lillian, dit M. Rust, en détachant les bras sa fille, je t’ai défendu, plus d’une fois déjà, d’intervenir, quand il s’agit de l’accomplissement de mon devoir !

— L’enfant est mort dans les plus horribles convulsions, immédiatement après avoir avalé les remèdes — ou, plutôt, la lotion que lui a donnée Mlle Dupas… Faites votre devoir, officier Rust ! disait la voix du Docteur Jasmin.

Lentement, comme s’il lui en eut beaucoup coûté, M. Rust s’avança jusqu’au canapé. Instinctivement, tous les amis de Marielle entourèrent la jeune fille, comme pour la protéger de cette horrible chose qui la menaçait. On entendait les lamentations de Nounou, qui, elle aussi, était présente, quoique Marielle ne l’eut pas encore aperçue. Une autre personne aussi était présente : assise à l’écart, un sourire… amusé sur ses lèvres, était Louise Vallier. Le drame épouvantable qui se déroulait sous ses yeux semblait procurer beaucoup d’amusement à cette demoiselle.

Lillian, encore une fois, se suspendit au cou de son père, l’implorant, mais en vain, de ne pas faire cette chose affreuse qu’il méditait.

Arrivé près du canapé, M. Rust écarta, poliment, mais fermement la ligne d’amis qui entourait Marielle, qui, elle, s’était levée debout, sans s’en rendre tout à fait compte. Le policier, alors, posa sa main sur l’épaule de la pauvre enfant, en prononçant ces huit mots si terribles, qu’on ne peut les écrire même, sans frissonner :

— Marielle Dupas, au nom de la loi, je vous arrête !

Quelles protestations indignées sortirent de toutes les bouches ; je veux dire que tous les amis de Marielle protestèrent hautement. Mais il fallut se soumettre, hélas, et la jeune accusée, déjà prisonnière, fut, incontinent, enfermée dans le salon du « Manoir-Roux », dont la fenêtre fut immédiatement clouée à l’extérieur. La porte du salon fut fermée à clef, M. Rust gardant cette clef dans sa poche.

Au moment où Marielle, sous la garde du policier et entourée de ses fidèles amis, allait quitter la chambre pour descendre au salon, Pierre Dupas, le visage vieilli de dix ans, depuis la mort tragique de son fils et l’arrestation de sa fille, s’approcha de cette dernière et dit :

— Marielle, misérable enfant, je te maudis !

Marielle comprenait parfaitement tout ce qui se passait ; pourtant, il y avait une sorte de bourdonnement dans son cerveau qu’elle ne pouvait s’expliquer. Ce bourdonnement l’empêchait de percevoir bien clairement les paroles qu’on disait autour d’elle ; de plus, ses jambes se dérobaient sous elle et un frisson continuel la secouait. Elle se dit qu’elle avait un cauchemar, dont elle s’éveillerait bientôt, sans doute, dans les bras de Jean. Elle entendit les paroles de M. Rust quand il l’arrêta, elle entendit la malédiction de son père, elle vit les figures effrayées autour d’elle…

— Quel rêve terrible je fais ! se disait la pauvre petite. Si je pouvais m’éveiller !… Il me semble que je ne puis en supporter davantage !