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férence (forcée, on le sait, apparente plutôt, je devrais dire) envers le bébé. Pierre Dupas se disait que Marielle regrettait l’acte de générosité qu’elle avait fait concernant le testament de sa tante Solange… Jugement téméraire s’il en fut jamais !

On était au treize juillet. Il était trois heures de l’après-midi, quand Mme Brassard arriva au Manoir-Roux, accompagnée de Lillian Rust. Marielle, dit Mme Brassard, nous sommes venues, Lillian et moi, vous faire essayer votre toilette de noces.

— Oh ! que c’est splendide ! s’écria Marielle, quand on eut retiré la robe de sa boite. Et quelle magnifique broderie !

— C’est Lillian qui a fait la broderie, et moi qui ai fait le reste, dit Mme Brassard.

— Comment vous remercier toutes deux ! s’exclama Marielle.

— Maintenant, si vous le voulez, Marielle, vous allez essayer votre toilette, afin que je voie si rien ne cloche.

— Moi, je propose que Marielle revête toute sa toilette de noces, dit Lillian. Toute sa toilette : ses souliers blancs, ses gants blancs, sa couronne et tout !

— Ce serait une bonne idée ; mais pour cela, il va falloir que vous vous laissiez coiffer selon la mode prévalente, Marielle, dit Mme Brassard. Vous allez être obligée de vous relever les cheveux ; une mariée ne peut porter des boucles flottantes, vous savez !

— Montons à ma chambre alors, répondit Marielle. J’ai hâte aussi de vous montrer le voile et la couronne que j’ai reçus en cadeau de tante Solange ; tous deux sont d’une grande richesse !

Quand Marielle eut revêtu toute sa toilette de mariée, Mme Brassard et Lillian lui proposèrent de descendre dans la salle d’entrée, où il y avait une glace dans laquelle on pouvait se voir, de la tête aux pieds.

— Vos cheveux relevés ainsi, Marielle, dit Lillian, cela vous vieillit un peu, sans doute ; mais ça vous va si bien ! N’est-ce pas, Mme Brassard ?

Marielle, quand elle se vit dans la longue glace de la salle, fut presque surprise de sa propre beauté : son doux visage, aux traits délicats et fins sous son voile de mariée, était ravissant.

Nounou, entendant parler dans la salle, y entra sans cérémonie, avec le sans-gêne de certains vieux domestiques d’autrefois. En apercevant Marielle, elle porta la main à son cœur en pâlissant.

— Madame Dupas ! s’écria-t-elle.

— Tu te trompes, Nounou ; je ne suis pas Mme Dupas, mais Marielle, dit la chère petite en souriant.

Mlle  Marielle… murmura Nounou. Ô Mlle Marielle, en vous voyant ainsi, en toilette de mariée, vos beaux cheveux d’or relevés en chignon, j’vous ai prise pour l’ombre de votre ange de mère… C’est moi qui l’avait habillée pour son mariage et… Mais, Mlle Marielle, pourquoi avez-vous r’vêtu cette toilette aujourd’hui ?… N’savez-vous pas, chère enfant, que ça porte malheur de r’vêtir sa toilette de noces, en entier ainsi, avant l’jour même du mariage ?

— Allons donc, Nounou ! dit Mme Brassard, en riant, car elle s’aperçut que Marielle avait pâli, au discours de la vieille servante.

On le sait, Marielle était superstitieuse, et c’est pourquoi elle s’était sentie saisie tout à coup, d’un noir pressentiment.

— Croyez-moi, Mlle Marielle, reprit Nounou, enl’vez cette toilette immédiatement, et ne la r’mettez que l’dix-huit, quand vous vous acheminerez vers la chapelle, au bras de votre père.

Ayant dit ce qu’elle avait à dire, Nounou quitta la salle ; mais à peine venait-elle de sortir, qu’on frappa à la porte du « Manoir-Roux ».

— Entrez ! s’écria, Mme Brassard.

La porte s’ouvrit. Jean Bahr entra, suivi du Docteur Le Noir.

Inutile de dire que le Docteur Le Noir se dirigea immédiatement du côté de Lillian Rust, tandis que les yeux de Jean faisaient le tour de la salle, cherchant Marielle. Soudain, il l’aperçut. Portant la main à son cœur, il murmura :

— Marielle ! Ô Marielle !

— Jean ! répondit Marielle. Puis, souriant, elle ajouta : « C’est un peu ridicule de recevoir des visiteurs dans cette toilette, mais…

Mlle  Marielle, je vous salue ! dit le Docteur Le Noir, s’approchant de la jeune fille, et vivement frappé de son extraordinaire beauté. Le médecin se retira ensuite auprès de Lillian et de Mme Brassard, devinant parfaitement l’émotion qui avait pâli le visage de son ami Jean.

— Marielle ! Marielle ! s’écria Jean, à genoux devant sa fiancée et lui baisant les mains. Que tu es belle, mon aimée, et que je t’aime ! Ô ciel, que je t’aime !

— Jean ! murmura Marielle, des larmes coulant sur ses joues.

— Marielle, mon ange chéri ! Oh ! je suis le plus heureux de la terre de posséder une telle fiancée !… Marielle ! Marielle ? Le sais-tu, dis, le sais-tu combien je t’aime ?

— Oui, je le sais, Jean… et moi aussi, je t’aime !

— « Après papa et Bébé Guy », dit Jean, en se relevant et en souriant, afin de ne pas prolonger la situation par trop dramatique, à cause de ceux qui étaient présents.

— Ah ! non, répondit Marielle souriant, à son tour ; bien plus que mon père, bien plus que Guy… plus que tout au monde !

— Mon adorée ! murmura Jean, en pressant Marielle sur son cœur. Puis tous deux allèrent rejoindre Mme Brassard, Lillian et le Docteur Le Noir.

— Vous serez, ce soir, chez M. Jambeau, n’est-ce pas Docteur Le Noir ? demanda Marielle, au moment où les jeunes gens se disposaient à partir. Vous le savez, il y a grande soirée chez M. Jambeau, ce soir ?

— Oui, je sais, Mlle Dupas ; M. Jambeau donne une grande soirée, en l’honneur des futurs époux. J’y serai assurément, dit le médecin, en jetant un regard sur Lillian.

— Moi, je ne suis pas certaine d’y aller, dit Lillian, en coulant un regard du côté du Docteur Le Noir.

— Vraiment S’exclama le médecin, le visage soudain attristé.

— Oh ! dit Mme Brassard, en riant d’un bon cœur. Vous savez. Docteur Le{{lié]}}Noir. Lillian est un tant soit peu taquine parfois !