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clatant de rire. Elle a été plus sotte que je la pensais d’avoir renoncé à la moitié de ses espérances pour son petit frère Guy !

— C’est plus que tu en aurais fait toi-même, je présume ! Toi, Louise, tu n’aurais pas agi ainsi que Marielle, je suppose ?

— Pas moi ! s’écria Louise.

— Louise, dit Mme Dupas, tu n’aimes pas ton petit frère… Tous raffolent de Bébé Guy, dans cette maison et même sur toute l’île. Toi, jamais tu ne le caresses… que dis-je ?… tu ne fais pas plus de cas de cet enfant que s’il n’existait pas… Pourtant…

— Mère, répondit Louise, je n’aime pas les enfants, vous le savez, et je ne suis pas une hypocrite, moi ! Marielle sait cacher ses sentiments ; elle agit et parle toujours pour la galerie. Vous pensez qu’elle aime ce bébé ?… Eh ! bien, vous vous trompez ! Observez-la sans qu’elle s’en doute et vous vous apercevrez bien vite de ce qui se passe dans son cœur… Je hais les hypocrites, et Marielle en est une… Ce qu’elle doit haïr ce petit depuis hier soir cette pauvre Marielle.

— C’est ridicule ce que tu dis là, Louise ! Si Marielle eut haï mon fils aurait-elle consenti à se dépouiller de la moitié de sa fortune à venir, en sa faveur ?

— Ne vous ai-je pas dit que Marielle parle et agit toujours pour la galerie ?… Que vouliez-vous qu’elle fît, hier soir ?… N’était-elle pas, en quelque sorte poussée au pied du mur ?… C’était le temps ou jamais de jouer le rôle du désintéressement et du dévouement, alors qu’elle était en présence de son fiancé, de son père, de sa belle-mère et de sa tante Solange…

— Louise, dit Mme Dupas, je crois vraiment que tu es un peu folle !

— C’est bon ! C’est bon ! Moi, ça me fait rien que Marielle aime ou haïsse cet enfant. Je vous avertis de ce qui se passe ; voilà tout. Je le répète, Marielle hait Bébé Guy ; à vous d’avoir l’œil ouvert !

Ce disant, Louise Vallier quitta la chambre de sa mère, contente de ce qu’elle venait de faire ; elle en était sûre ; elle avait semé le doute dans le cœur de la mère de Guy.

Marielle, dans la salle d’entrée du « Manoir-Roux », penchée sur le berceau contenant Bébé Guy, chantait une naïve petite berceuse, qu’elle avait composée la veille, exprès pour son petit frère :

LA CORBEILLE FLEURIE

La blonde chevelure
De ce charmant petit
Fait penser, je l’assure,
Au bouton-d’or gentil.

Et souvent je me penche
Pour voir ses yeux jolis,
Bleus comme la pervenche
Ou le myosotis.

Sa bouche est une rose
Aux pétales exquis,
Sur laquelle se pose
Du soleil le souris.

Donc, c’est m’aiment une corbeille
De fleurs, je le redis,
Que ce « ber », dans lequel sommeille
Le mignon Bébé Guy.


Que je l’aime mon petit frère Guy ! se disait Marielle, et combien je serais heureuse, si ce n’était de la présence de Louise Vallier… Cette fille a vraiment entrepris de me rendre la vie désagréable… Ce matin encore, ne m’a-t-elle pas narguée à propos du testament de tante Solange, insinuant que je n’avais agi comme je l’ai fait que parce que j’y avais été contrainte par les circonstances… Mais, qu’importe, en fin de compte, pourvu que mon père, Jean, et même ma belle-mère soient satisfaits ?… Cependant, je voudrais bien que Mlle Vallier se conduise autrement vis-à-vis de moi ; elle m’ennuie beaucoup cette demoiselle et, parfois, elle m’effraie un peu…

Ces réflexions auxquelles se livrait Marielle la rendaient vraiment malheureuse, et ses fins sourcils se fronçaient sous la force de ses pensées.

Et c’est pourquoi, quand Mme Dupas arriva, à pas de loup, dans la salle, elle vit la fille de son mari penchée sur Bébé Guy, une expression de mécontentement sur son visage.

— Marielle ! cria Mme Dupas. Pourquoi froncez-vous les sourcils ainsi en regardant mon fils ?

— Mais… Mme Dupas… murmura la jeune fille, je…

— Ah ! continua, la mère de Guy, c’est donc vrai que vous êtes une hypocrite et que, au fond vous haïssez votre petit frère !

— Moi, je hais mon petit frère ! Moi ! s’exclama Marielle. Oh ! Mme Dupas, comment pouvez-vous me parler ainsi !

— Vous êtes une hypocrite, Marielle ! Toujours, vous parlez et agissez pour la galerie, reprit Mme Dupas, répétant, inconsciemment les paroles venimeuses de sa fille Louise.

Marielle regardait sa belle-mère d’un air étonné, ne comprenant rien à cette scène.

— Dorénavant, je vous défends de toucher à mon enfant, je vous le défends ; entendez-vous, Marielle ! Ni vous ni votre complice Nounou…

— Qu’est-ce qu’il y a encore ? demanda, tout à coup, la voix de Nounou, et pourquoi défendez-vous à Mlle Marielle d’approcher de votre enfant ; pourquoi me le défendez-vous à moi-même ?

— Parce que je n’ai plus confiance en Mlle Marielle, en vous non plus ! répondit Mme Dupas, s’adressant à Nounou qui venait d’entrer dans la salle.

— Non, hein, vous n’avez plus confiance ?… Eh ! bien, j’espère que Mlle Marielle se souviendra de la défense que vous venez de lui faire, Madame ! s’écria Nounou… Quant à moi, ne craignez pas ; je m’en souviendrai… J’ai fini de m’user les doigts et de prendre sur mon sommeil pour laver, empeser et repasser le linge du petit afin que vous puissiez le tenir toujours comme un prince, et puis…

Mais, Mme Dupas venait de sortir, emportant dans ses bras son enfant.


CHAPITRE VI

TOILETTE DE NOCES


De la scène qui s’était passée au « Manoir-Roux ». Marielle ne dit mot. Elle ne s’approchait plus du berceau de son petit frère, afin de ne pas provoquer d’autres scènes. Elle savait que son père la jugeait mal en voyant son indif-