Page:Bourgeois - Le spectre du ravin, 1924.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
LE SPECTRE DU RAVIN

Jean, comme il l’avait répondu au Docteur Le Noir.

— Le plus tôt possible ! Le plus tôt possible, Jean ! s’écria M. Jambeau. Pourquoi ne pas en profiter, tandis que nous avons un prêtre sur l’île ?

— Cher M. Jambeau, répondit Jean, vous vous imaginez bien que j’y ai pensé ! Mais Marielle préfère attendre le retour de Mme Brassard… En attendant ma bien-aimée n’est pas trop malheureuse au « Manoir-Roux » ; voyez plutôt !

M. Jambeau jeta les yeux sur Marielle ; elle était debout à l’une des extrémités de la salle, tenant dans ses bras le petit Guy. Debout, près d’elle, était Max, le regard plein d’admiration, fixé sur le bébé. Un sourire entr’ouvrait les lèvres de la jeune fille.

— En effet, dit, soudain, M. Jambeau, en réponse à la dernière remarque de Jean, Marielle est heureuse… pour le présent… et j’ai tort d’être inquiet à son sujet…

— Inquiet, M. Jambeau !… Que voulez-vous dire ?

— Je ne sais vraiment, Jean !… Je suis vieux, et l’avenir me parait souvent assez sombre… Tout de même, mon jeune ami, aussitôt que les Brassard seront arrivés, épousez Marielle et emmenez-là loin du « Manoir-Roux » et… de cette folle, dit M. Jambeau, en désignant Louise Vallier.


CHAPITRE II

RETOUR DE L’ÉTÉ


Un mois s’était écoulé depuis les événements racontés plus haut, et c’était l’été sur le Rocher aux Oiseaux.

Les six villas avaient trouvé locataires : depuis la veille au soir seulement, la « Villa Grise » était habitée par la famille Brassard. Lors de l’arrivée du premier bateau, Jean et Marielle avaient reçu chacun une lettre de M. et Mme Brassard, leur annonçant qu’ils ne pourraient prendre possession de leur villa avant le 1er juillet. Les Brassard étaient arrivés la veille, et on leur avait fait fête.

M. Jambeau habitant la « Villa Bianca », Maurice et son père « Charme Villa » (car M. Leroy père était de retour sur le Rocher depuis le 15 juin), il ne restait que trois villas libres.

Dès le 8 juin, la « Villa Magdalena » avait été louée par un M. Paris et son fils Charles. Pas du tout sympathiques ces messieurs. M. Paris, père, n’articulait pas un mot par heure peut-être, Charles, son fils, n’était pas très intelligent. Jean et Maurice considéraient que Charles Paris était une vraie « scie ». Chose étrange, (ou, du moins, qui paraissait étrange à Jean et à Maurice) Charles Paris devint amoureux de Louise Vallier, la première fois qu’il l’aperçut. Tout d’abord, Louise encouragea le jeune homme ; mais, ayant appris que ni lui ni son père ne possédaient de fortune, elle fit froide mine au jeune homme. Cependant, Charles Paris continuait à poursuivre la jeune fille de ses attentions.

La « Villa Riante » était habitée par un M. Rust et sa fille Lillian. Quoique leur nom fut anglais, c’étaient des Canadiens-français. M. Rust intrigua beaucoup les habitants du Rocher aux Oiseaux, pendant quelques jours… Qui était-ce que ce monsieur ?… Il était de haute stature et fort corpulent. On pouvait le voir arpenter l’île d’un pas tranquille et mesuré, les yeux alertes, et semblant tout voir à la fois… Eh ! bien, M. Rust ne faisait aucun mystère de sa profession : il était policier, dans la ville de Québec et il était venu passer deux mois sur l’île pour se reposer ; voilà tout.

Lillian Rust était une charmante jeune fille de dix-huit ans, rieuse et gaie, dont Marielle avait vite fait son amie. Lillian et Marielle devinrent deux inséparables, s’aimant comme des sœurs.

Mais, Marielle n’était pas la seule qui aimât Lillian ; un autre l’avait vue et aimée, et cet autre c’était le Docteur Le Noir. Ce fut le traditionnel coup de foudre, des deux côtés, et le médecin venait, assez souvent, maintenant, passer un jour ou deux sur le Rocher aux Oiseaux.

Quant à la « Villa du Rocher », elle avait été louée, il y avait huit jours, seulement. Un après-midi, alors que Jean était occupé à écrire, au magasin, il entendit une voix qui l’interpellait :

— C’est vous qui êtes M. Bahr ?

Jean leva les yeux, et il aperçut une dame âgée, debout près d’un comptoir. Cette dame portait dans ses bras un chien, qui avait l’air assez hargneux vraiment, Accompagnant l’étrangère, étaient deux domestiques : une jeune fille et un homme d’une cinquantaine d’années à peu près. Les domestiques portaient, entr’eux, un chien, deux cages contenant des serins, une autre cage contenant un perroquet et un panier dans lequel se débattait un chat. Léo vint aboyer joyeusement autour de cette ménagerie, puis la dame répéta sa question d’un ton impatienté, cette fois :

— C’est vous qui êtes M. Jean Bahr ?

Jean se leva et inclinant la tête, répondit :

— Je suis Jean Bahr, oui, Madame.

— Veuillez dire « Mademoiselle » et non « Madame » dit la nouvelle venue. Je n’ai jamais fait la sottise de me marier, Monsieur Jean Bahr ; conséquemment, j’ai droit au titre de « Mademoiselle »… et j’y tiens, je vous en avertis !

Jean fut très amusé et il regrettait beaucoup que Maurice ne fut pas présent ; combien il eut trouvé cela comique !

— Vous avez des villas à louer ? demanda la demoiselle.

— Oui, Madame… Mademoiselle, je veux dire. Il m’en reste une : la « Villa du Rocher ».

— C’est bien ; je la prends tout de suite. Qui m’y conduira ?

Je vais vous y conduire, moi-même, Madam…oiselle, si vous voulez bien me suivre, répondit Jean, en s’emparant d’une clef qui était suspendue à un clou. Max, reprit-il, ne t’éloigne pas du magasin pendant mon absence.

Puis Jean partit, conduisant l’excentrique demoiselle à la « Villa du Rocher ».


CHAPITRE III

LA LOCATAIRE DE LA VILLA DU ROCHER


Marielle était à arroser des fleurs, en avant du « Manoir-Roux », un après-midi, quand elle aperçut une personne âgée assise sur un ro-