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LE SPECTRE DU RAVIN

que vous venez d’avoir : M. et Mme Dupas ont été malades, Nounou aussi… Vrai, M. Jambeau, cette épidémie « court » sur le Rocher, et elle finira par nous « attraper » tous !

À peine Firmin eut-il finit de parler, qu’il se sentit pris de frissons et d’étourdissements. On dut le transporter dans sa chambre et s’empresser de lui prodiguer des soins.

Jean et Maurice se virent retenus à la « Villa Bianca ». Heureusement, Firmin ne fut que six jours malade, car, véritablement, Jean et Maurice étaient bien fatigués tous deux.

Quittant la « Villa Bianca », nos deux amis se dirigèrent vers la demeure de Maurice. Il était cinq heures du soir. Qui fut content de les revoir ? ce fut Max, et même Toute-Blanche vint se frôler sur les jambes de Jean.

— Maurice, dit Jean, après le souper, je me propose de retourner au « Gîte » ce soir. Max et moi nous avons le grand ménage à faire, car la saison de la chasse aux morses sera bientôt arrivée… Ciel, qu’il fait froid, n’est-ce pas, Leroy ? dit-il soudain, puis il se mit à frissonner.

— Vous êtes frileux, Bahr ; je trouve la température bien supportable, pour ma part.

— Ce pauvre M. Jambeau, comme il a été malade ! J’ai cru, pendant quelques jours, que c’en était fait de lui, dit Jean.

— Oui, pauvre M. Jambeau !… Ça va mieux au « Manoir-Roux » maintenant, répliqua Maurice. M. Dupas est tout à fait revenu de son indisposition et Nounou est sur pied depuis hier ; il n’y a que Mme Dupas, dont l’état est encore inquiétant.

— Comme Marielle doit être fatiguée ! dit Jean. Pourvu qu’elle ne tombe pas malade à son tour !… Quelle bonne idée vous avez eue, Leroy, de lui envoyer votre domestique ! Pauvre pauvre Marielle !… C’est singulier, reprit-il, en passant la main sur son front, c’est singulier comme il fait noir… Je ne…

— Bahr ! Bahr ! cria Maurice, puis il courut vers son ami, qui venait de s’évanouir.

Oui, Jean, à son tour, était atteint de cette maladie devenue épidémique sur le Rocher aux Oiseaux !

Chérubin arrivant à « Charme Villa » porteur de nouvelles plus rassurantes sur l’état de Mme Dupas, aperçut Jean Bahr aux prises avec la fièvre et le délire.

— M. Maurice, dit-il, Mlle Dupas est, en ce moment, chez M. Jambeau.

— Vraiment ! s’écria Maurice. Reste ici alors, Chérubin ; je vais aller à la « Villa Bianca » et ramener Mlle Dupas.

Maurice partit, à la course, dans la direction de la « Villa Bianca » et il y arriva juste au moment où Marielle s’apprêtait à retourner chez elle.

— Ah ! M. Maurice ! dit Marielle en tendant la main au jeune homme.

— Comment allez-vous Mlle Marielle ? demanda Maurice à la jeune fille. Vous avez été très éprouvés au « Manoir-Roux » !

— Certes, oui, répondit Marielle ; mais tous sont sur pied maintenant, Dieu merci. Et… M. Maurice, comment vous remercier de votre délicate attention d’avoir envoyé votre domestique, ce bon Chérubin, à mon aide ! Je ne sais vraiment comment je serais parvenue à me tirer d’affaire sans lui !

— Je vous assure, Marielle, interposa M. Jambeau, que je serais aujourd’hui dans le sein d’Abraham, si ce n’eut été de Maurice et de Jean !… Jean ne vous a pas accompagné, Maurice ?

— Non, M. Jambeau, Jean ne m’a pas accompagné… pour la bonne raison que ce pauvre Jean est tombé malade subitement, hier soir, dit Maurice.

— Jean malade !

Cette exclamation c’est Marielle et M. Jambeau qui la firent ensemble.

— Oui, Jean est malade, bien malade ; il a la fièvre et le délire… Il est bien changé ce pauvre Jean !… C’est pourquoi, ayant appris par mon domestique que Mlle Marielle était ici, je suis venue la chercher… Jean est chez moi… Qui sait ce que la présence de sa fiancée…

— J’y vais tout de suite ! s’écria Marielle, et elle partit à la course, sans même attendre Maurice.

Arrivée à « Charme Villa », Marielle se fit conduire immédiatement dans la chambre du malade. Oui, Jean était bien bien changé ; de plus, il était aux prises d’une forte fièvre et du délire. Il articulait des mots sans suite, tandis que ses yeux avaient une fixité étrange, terrible à voir.

— Jean ! Jean ! murmura Marielle, en posant ses lèvres sur le front du jeune homme.

Les yeux du malade se fixèrent sur Marielle, puis il dit :

— Louise ! Ô chère bien-aimée ! Quel bonheur de te revoir, après une si longue séparation !

— Il me prend pour Louise Vallier ! se dit Marielle, en portant la main à son cœur. C’est donc vrai qu’il l’aime ! Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu !

— Louise ! répéta Jean. Ne nous séparons plus… Ton cher visage est le dernier que je désire voir en ce monde, puisque… puisque…

Mais, Marielle n’en pouvait supporter davantage ; elle quitta précipitamment « Charme Villa » et retourna tout courant, au « Manoir-Roux ». Pauvre Marielle ! Elle se disait qu’elle était bien abandonnée ; depuis le mariage de Pierre Dupas, elle n’avait, pour ainsi dire, plus de père…, et maintenant… elle n’avait plus de fiancé…

— Je sais ce que je vais faire, se dit-elle ; je vais aller passer quelques temps chez M. Jambeau. Ça me distraira et me reposera… Je suis bien fatiguée, oui, bien fatiguée… et, ciel, que le cœur me fait mal !

Ayant obtenu la permission de son père, Marielle partit, le surlendemain, pour la « Villa Bianca ». Qui fut content quand il apprit que sa chère Marielle s’en venait se reposer chez lui ?… Ce bon M. Jambeau se dit qu’il était l’homme le plus heureux de la terre, et il se promit de rendre le plus agréable possible le séjour de la jeune fille sous son toit.

Il y avait huit jours que Marielle était installée chez M. Jambeau, quand, un matin, alors qu’elle faisait la lecture à haute voix pour son hôte, celui-ci l’interrompit tout à coup :

— Marielle, dit-il, si vous voulez bien, nous allons causer, ce matin, au lieu de faire la lecture.

— C’est bien, M. Jambeau, acquiesça la jeune fille.