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LE SPECTRE DU RAVIN

de ton, il ajouta : Mlle Dupas s’est fait bien mal au visage en tombant, Bahr…

— Pauvre Marielle ! s’exclama Jean. Elle aurait pu se dévisager !

— Oh ! pas de danger !… J’ai examiné attentivement le visage de Mlle Dupas, Bahr, et j’affirme qu’elle ne s’est pas frappée sur sa couchette… mais qu’elle… a… été frappée ; voilà !

— Comment ! cria Jean, se levant, d’un bond. Frappée ! Vous affirmez Docteur Le Noir, que Marielle a été frappée !… Vous vous trompez, sans doute. Qui oserait toucher à cet ange ?

— Frappée ! Mlle Marielle ! Non ! Non ! C’est impossible ! dit Maurice.

— J’ai parfaitement vu la marque de cinq doigts sur le visage de Mlle Dupas, Messieurs ! affirma, de nouveau, le médecin.

— C’est cette femme ! dit Jean d’une voix tremblante.

Le Docteur Le Noir secoua la tête négativement.

— Pardon, Bahr, dit-il ; mais, une femme ne pourrait frapper un coup tel que celui que Mlle Dupas a réçu. C’est une main plus forte qui a frappé ce coup ; une main d’homme !

— Son père ! M. Dupas ! s’écrièrent, en même temps, Jean et Maurice. Impossible, Docteur Le Noir ! Impossible !

— Quand j’ai demandé ce que Mlle Dupas avait au visage, dit le médecin, M. Dupas a pâli, puis il a échangé un regard avec la vieille Nounou. Cette servante, d’ailleurs… j’ai remarqué que sa physionomie portait le cachet du désespoir. Par la manière dont elle se tient au chevet de Mlle Dupas (qu’elle adore, c’est évident) semblant défier toute approche, il est facile de deviner qu’il s’est passé quelque chose de dramatique dans cette maison… Ce sont les détails qui parlent, voyez-vous, Messieurs… et j’ai compris…

— Vous êtes un observateur, Docteur Le Noir, dit Maurice, souriant. Vous feriez un bon détective.

— Marielle frappée par son père ! ne cessait de répéter Jean.

— Croyez-moi, Bahr, reprit le médecin, il s’est passé quelque drame au « Manoir-Roux », et cette pauvre enfant… Pardon, si je désigne votre fiancée du nom d’enfant ; mais, couchée dans son lit, ses longs et abondants cheveux blonds répandus sur son oreiller, elle ressemblait à une enfant plutôt qu’à une jeune fille… Quel âge a Mlle Dupas ?

— Elle vient d’atteindre ses dix-sept ans… Oui, Marielle est une enfant, par le cœur et par l’innocence… Marielle est un ange, Docteur Le Noir. Ici, sur le Rocher aux Oiseaux, plusieurs ; entr’autres les Brassard et M. Jambeau, la nomment « l’Ange du Rocher » Marielle !

— Permettez-moi de vous donner un conseil, Bahr, dit le médecin : aussitôt que Mlle Dupas sera guérie (mais, je vous en avertis, sa maladie pourrait bien être longue) épousez-là !

— C’est mon intention, Docteur, et si M. Dupas y consent…

— Il y consentira, soyez-en assuré, M. Dupas est rongé de remords, à l’heure qu’il est ; il donnerait sa vie pour n’avoir pas frappé sa fille.

— Mon Dieu ! murmura Jean.

Mlle Dupas… épousez-là, et amenez-là ici, au « Gîte ». Ne la laissez pas au « Manoir-Roux », à la merci de son père, qui peut être si brutal quand il est en colère, et aussi, à la merci de ces deux femmes, dont l’une d’elle, Mlle Vallier, n’est pas tout à fait responsable de ses actes… Vous le voyez, mes amis supplémenta le médecin, s’adressant à Jean et à Maurice, je ne vous ménage pas ma façon de penser. J’émets, sans crainte de me tromper, mon opinion sur les habitants du « Manoir-Roux ». Vous excuserez mon franc parler, Bahr ; mais c’est dans votre intérêt que je me prononce, et aussi dans l’intérêt de votre douce fiancée, qui m’a certainement l’air de mériter le nom d’« Ange du Rocher » sous lequel on la désigne.


CHAPITRE XXV

FIN D’ÉTÉ


La belle saison avait pris fin sur le Rocher aux Oiseaux.

La « Villa du Rocher » était fermée, ainsi que la « Villa Riante » . La famille Folavoine et les demoiselles Dulac avaient quitté l’île, la veille. M. Folavoine père, était entré au magasin, faire ses adieux à Jean, en passant.

— Adieu, M. Bahr, avait dit M. Folavoine ; je pars. Nous avions espéré, ma femme et moi, voir se célébrer le mariage de notre fils Barnabé sur le Rocher aux Oiseaux… Nous nous proposions de faire une noce dont on aurait parlé longtemps sur cette île, la maladie de Mlle Dupas a dérangé tous nos plans… Allez donc faire des noces quand tout le monde est triste et inquiet. Eh ! bien, nous nous hâtons de retourner à Montréal avec Mlle Dulac et notre future belle-fille Anastasie ; le mariage se célébrera presqu’aussitôt que nous serons arrivés à destination… Adieu, M. Bahr !

— Vous garderai-je la « Villa Riante », l’été prochain, M. Folavoine ? demanda Jean.

— Nous garder la « Villa Riante » ! s’écria M. Folavoine. Oh ! non… Moi, vous savez, M. Bahr, si j’ai passé l’été ici, ça été pour faire plaisir à Félicie ma femme. Car moi, M. Bahr, ça ne me dit rien des rochers, des arbres, de l’herbe et de l’eau. Donnez-moi la ville et ses bruits, donnez-moi du mouvement et de la vie !… Eh ! bien, encore une fois, adieu, M. Bahr. Nous partons dans quelques instants, et je vois Barnabé qui me fait des signaux, de la grève.

— Adieu, M. Folavoine ! répondit Jean.

Aujourd’hui, c’était la famille Brassard qui venait faire ses adieux à Jean, et le départ de cette brave et charmante famille faisait infiniment de peine au jeune homme.

— Adieu, M. Jean… ou plutôt au revoir, dit Mme Brassard, n’oubliez pas que vous avez promis de nous garder la « Villa Grise », l’été prochain.

— Certes, je vous la garderai ! répondit Jean, avec un léger tremblement dans la voix. Et quel bonheur de vous voir revenir au Rocher, chers amis !

— Nous sommes arrêtés dire adieu à Mlle Marielle, en passant à « Manoir-Roux » ; elle a l’air d’être en pleine convalescence la chère enfant, dit M. Brassard.

— Oui. Chère Marielle ! Quelle inquiétude elle nous a causé !… dit Mme Brassard. M. Jean ajouta-t-elle, nous désirons beaucoup as-