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vais œil », vous le savez, et elle me veut du mal ! Chassez-la ! Chassez-la !

Instinctivement, Jean regarda par-dessus son épaule ; mais Louise Vallier n’était pas dans la chambre.

— Est-ce de cette jeune fille que j’ai rencontrée tout à l’heure que parle Mlle Dupas ! demanda le médecin.

— Oui, Docteur, répondit Pierre Dupas.

— Les malades prennent souvent les gens « en grippe » ainsi, dit le Docteur Le Noir. Voyez à ce que Mlle Vallier n’entre pas dans cette chambre, ajouta-t-il, en s’adressant à Nounou.

— J’y verrai ! répondit Nounou, d’un ton qui fit comprendre au médecin que ses ordres seraient suivis à la lettre.

Il laissa deux fioles de remèdes et dit :

— Je ne quitterai pas le Rocher aux Oiseaux avant demain après-midi. Je reviendrai vers les trois heures, et aussi durant le courant de la veillée.

Le Docteur Le Noir se pencha sur Marielle, puis il s’écria, tout à coup :

Mlle Dupas a le visage bien enflé ! Serait-elle tombée ?

Pierre Dupas devint très pâle et il échangea un regard avec Nounou.

Mlle Dupas, quand elle s’est évanouie, est tombée sur la couchette et… elle s’est frappée l’visage, en tombant, dit Nounou.

— Ah ! répondit, seulement, le médecin. Vous lui tiendrez des compresses d’eau glacée sur le visage, ajouta-t-il.

Puis le Docteur Le Noir quitta la chambre de Marielle, accompagné de Pierre Dupas et de Jean.


CHAPITRE XXIV

L’OPINION DU DOCTEUR LE NOIR


Arrivé dans la salle, le Docteur Le Noir aperçut une femme, jeune encore, à qui Pierre Dupas le présenta : c’était Mme Dupas.

— Le Docteur Le Noir ne retournera chez lui que demain, ma chère, dit Pierre Dupas à sa femme.

— Vous êtes le bienvenu au « Manoir-Roux » Docteur, dit Mme Dupas avec un de ses fameux sourires.

— Merci, Madame, répondit le médecin, en s’inclinant ; mais j’ai déjà accepté l’hospitalité de M. Bahr.

Il jeta un coup d’œil sur Jean, qui, comprenant. répondit immédiatement :

— C’est chose entendue, je l’espère. Docteur Le Noir… Le « Gîte » n’est pas un palais ; mais, telle qu’elle est, ma demeure est à votre entière disposition, pour aussi longtemps qu’il vous plaira de rester sur notre île.

— Je reviendrai vers les trois heures, dit le Docteur Le Noir à Pierre Dupas. En attendant, je n’ai pas besoin de vous recommander de voir à ce que la malade prenne ses remèdes régulièrement… Je ne vous cacherai pas que l’état de Mlle Dupas est grave, très grave… Au revoir, Madame ! Au revoir, Monsieur !

Jean et le médecin, en quittant le « Manoir-Roux », se dirigèrent vers le « Gîte » arrêtant au magasin, en passant. Dans le magasin, il y avait, à part de Max, M. et Mme Brassard et Maurice Leroy. Quand Jean et le médecin arrivèrent, tous accoururent au-devant d’eux, demandant :

— Mademoiselle Marielle ?

— Hélas ! Elle a une congestion cérébrale ! dit Jean, se jetant sur un siège et éclatant en sanglots.

— Une congestion cérébrale ! Ô ciel ! s’écrièrent-ils tous.

— Pauvre M. Jean ! dit Mme Brassard, en posant sa main sur l’épaule du jeune homme.

— Ô mes amis, pleura Jean, si vous l’aviez vue comme je viens de la voir, moi, dans le délire de la fièvre… Le Docteur Le Noir, ajouta-t-il, en désignant le médecin. Docteur, je vous présente mes trois meilleurs amis : Mme Brassard, M. Brassard, et M. Maurice Leroy.

— Bahr, dit Maurice, vous feriez mieux de fermer le magasin et de vous en aller chez-vous ; je vais vous accompagner.

— Oui, allez vous en chez-vous, Bahr ! dit M. Brassard. Moi, je resterai au magasin avec Max ; ne vous inquiétez de rien.

Jean se laissa persuader et il partit, accompagné de Maurice et du Docteur Le Noir.

Une fois installé au « Gîte », le Docteur Le Noir dit à Jean :

— Vous excuserez le sans-gêne avec lequel je me suis imposé ici, n’est-ce pas M. Bahr ?… Je ne tenais pas à accepter l’hospitalité des Dupas.

— Vous êtes, certes, le très bienvenu, Docteur ! répondit Jean.

— Quelle singulière maisonnée que celle du « Manoir-Roux » ! s’écria le médecin. Si j’osais émettre une opinion, Je dirais que les habitants de cette maison ne sont pas heureux.

— Pourtant, Docteur, répondit Jean, jusqu’à tout dernièrement, vous n’auriez pas trouvé une maison plus agréable et plus gaie que le « Manoir-Roux ». N’est-ce pas, Leroy ? dit-il en s’adressant à Maurice.

— Vous l’avez dit, Bahr ! répondit Maurice.

— Docteur Le Noir, fit Jean, je tiens à vous dire que M. Leroy est mon ami le plus intime et que je n’ai pas de secrets pour lui.

— Alors, causons en bons amis, qui n’ont rien à se cacher, dit gaiement le médecin. Dites-moi, y a-t-il longtemps que M. Dupas est remarié ?

— Un peu plus d’un mois, répondit Jean.

— Singuliers types que ces dames ; Mme Dupas et Mlle Vallier, je veux dire.

— Je la déteste cette femme ! s’écria Jean. Sa fille Louise, elle aussi, je la déteste !

— Des deux, je préfère la mère à la fille cependant, dit gravement le médecin, Mme Dupas est une névrosée, c’est évident ; mais Mlle Vallier… Mes amis, cette jeune fille, Mlle Louise Vallier, est-elle considérée comme étant tout à fait normale ?

— Normale ? demandèrent Jean et Maurice. Vous voulez dire ?…

— Je veux dire qu’elle n’est pas normale cette jeune fille… Je considère qu’elle pourrait être classée parmi les détraquées… Il est vrai que je n’ai fait que l’entrevoir ; mais, à nous médecins, ça suffit.

— Marielle la craint… murmura Jean.

— Oh ! Mlle Vallier n’est pas dangereuse : elle est seulement « pas toute là » comme on dit souvent, assura le médecin. Puis, changeant