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LE SPECTRE DU RAVIN

nuit auprès d’elle… Et que Dieu ait pitié d’vous !

Des pas s’approchaient de la chambre. En un clin d’œil, Nounou fut rendue à la porte et elle tourna la clef dans la serrure. On essaya la porte, puis on frappa.

— Qui est là ? demanda Nounou.

— C’est moi, Mme Dupas.

— Eh ! bien, Mme Dupas, passez votre chemin !

— Mais… je désire entrer !

— Continuez à le désirer, alors ! répondit Nounou.

— Pierre ! appela Mme Dupas.

— Oui, je viens ! dit Pierre Dupas. Nounou, ajouta-t-il, demain matin, à la première heure, j’irai à la Grosse Île et j’en ramènerai un médecin.

— Moi, j’passerai la nuit à son chevet, dit Nounou, et j’la soignerai d’mon mieux… Seigneur ! reprit-elle. Quel jour néfaste que celui qui a conduit cette femme et sa fille au Rocher aux Oiseaux !

Le lendemain matin, de très bonne heure, Pierre Dupas partit pour la Grosse Île. Marielle était toujours dans le même état et Nounou n’avait pas fermé l’œil.

Vers les huit heures, Louise Vallier entra, sans cérémonie, dans la chambre de Marielle et dit à Nounou :

— Nounou, Mme Dupas vous fait dire de préparer le déjeuner tout de suite !

— Si vous et votre misérable mère attendez après le déjeuner que j’vais vous préparer, pour manger, vous allez attendre longtemps, Mlle Vallier. Sortez, s’il vous plaît, ou bien, j’prendrai les grands moyens pour vous faire quitter cette chambre.

Vers neuf heures, Max vint au « Manoir-Roux » prendre les ordres de Mme Dupas. Nounou entendit la voix de l’enfant et elle descendit à la cuisine.

— Max, dit la vieille servante, dis à M. Bahr que Mlle Dupas est malade, très malade ; elle a la fièvre et le délire. M. Dupas est parti pour la Grosse Île chercher un médecin.

Mlle Dupas est malade ! s’écria Max. M. Bahr va en avoir du chagrin et de l’inquiétude, bien sûr !

Max partit, à la course, vers le magasin, et un quart d’heure plus tard, Jean se présentait à la porte du « Manoir-Roux ». C’est Louise Vallier qui le reçut.

— Je suis venu pour avoir des nouvelles de Mlle Marielle, dit Jean.

— Marielle ?… Oh ! ça va mieux, je crois. Nounou s’effraie inutilement quand il s’agit de Marielle, vous savez, M. Bahr… Voulez-vous entrer ?

— Merci, Mlle Vallier ; j’aimerais à parler à Nounou.

— Nounou ? dit Louise. Je regrette de vous dire qu’elle ne…

Mais Nounou, ayant entendu la voix de Jean, entra dans la salle.

— M. Bahr ! dit-elle. Pauvre Mlle Marielle ! Elle est bien malade ! M. Dupas est allé à la Grosse Île chercher un médecin : il doit être à la veille de revenir maintenant.

Mlle Marielle est donc tombée malade subitement, Nounou ? demanda Jean. Je l’ai vue passer en voiture, hier et elle avait l’air d’être en excellente santé et de joyeuse humeur.

— Oui… Mlle Marielle est tombée malade subitement. Elle a beaucoup de fièvre et aussi l’délire, répondit Nounou. Sans cesse elle parle de vous, M. Bahr, du « Gîte » et d’la maison que vous allez construire le printemps prochain. C’est pitoyable de l’entendre !

— C’est bien touchant ! dit Louise Vallier, en éclatant de rire.

Jean allait certainement mettre Louise Vallier à sa place, mais, en ce moment, Pierre Dupas entra, accompagné du médecin.

— Tiens ! Bonjour, M. Bahr ! dit le médecin en tendant la main à Jean.

— Comment vous portez-vous, Docteur Le Noir ! répondit Jean.

— Vous êtes en bonne santé, Jean ? demanda Pierre Dupas.

— Merci, M. Dupas, ma santé est excellente… Je regrette d’apprendre que Mlle Marielle est si malade ! dit Jean, d’une voix tremblante.

— J’aimerais à monter auprès de la malade immédiatement, fit le médecin. Puis apercevant Louise Vallier, il demanda :

Une autre de vos filles, M. Dupas ?

Mlle Louise Vallier, la fille de ma femme, répondit Pierre Dupas. Je n’ai qu’une enfant ; celle qui est malade.

— Ah ! dit, seulement, le Docteur Le Noir, en jetant sur Louise Vallier un regard perçant. Celle-ci, ayant salué le médecin, quitta la salle.

— Je vais monter dire à Nounou, notre servante, que vous êtes arrivé, Docteur, dit Pierre Dupas. Veuillez vous asseoir.

Aussitôt que Pierre Dupas eut quitté la salle, Jean demanda au médecin :

— Docteur Le Noir, s’il y a possibilité que je voie Mlle Dupas, un instant seulement, laissez-moi la voir ! Elle est ma fiancée, et je suis fort inquiet à son sujet.

— Laissez-moi arranger cela, répondit le médecin ; je ferai pour le mieux, je vous le promets.

— Merci ! Oh ! merci !… Vous aussi, vous avez une chère fiancée, sans doute ?… Figurez-vous ce que je souffre en ce moment, dit Jean, d’une voix que l’émotion faisait trembler.

Pierre Dupas entra dans la salle et il demanda au médecin de monter auprès de sa fille.

— Vous pouvez monter, vous aussi, Jean, si le Docteur le permet… Pauvre Marielle !… Elle ne vous reconnaîtra pas ; elle ne m’a pas reconnu, moi son père ! et des larmes coulèrent sur les joues de Pierre Dupas.

Quand ils pénétrèrent dans la chambre de Marielle, celle-ci prononçait des mots sans suite, en agitant ses bras. Le Docteur Le Noir se pencha sur elle, il l’observa quelques minutes, puis, bien vite, il eut diagnostiqué sa maladie :

— Congestion cérébrale.

À ce mot terrible, un cri de douleur et de désespoir s’échappa des lèvres de tous. Le médecin alors, dit à Jean :

— M. Bahr, essayez donc de parler à Mlle Dupas ; peut-être connaîtra-t-elle votre voix.

— Marielle ! Chère Marielle ! C’est moi, Jean.

— Jean ! s’écria la malade. Puis s’asseyant sur son lit, elle cria :

— Jean, chassez-la ! Chassez-la ! Elle est là. Louise Vallier ; elle me regarde et… j’ai peur ! Jean ! Jean ! Louise Vallier a le « mau-