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LE SPECTRE DU RAVIN

chassez cette femme, dont vous avez l’air à subir l’influence, depuis quelque temps… Père, nous étions si heureux, avant que cette étrangère…

— Tais-toi, Marielle ! dit rudement Pierre Dupas. Tais-toi, entends-tu !… Cette dame, dont tu parles si irrespectueusement, a autant le droit d’être ici que toi ; plus même, puisqu’elle est ma femme… Nous nous sommes mariés hier… Voici ta nouvelle maman, Marielle, ajouta-t-il, entourant de son bras la taille de Mme Vallier (Pardon… Mme Dupas.) Marielle, viens embrasser ta mère !

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! s’écria Marielle, puis elle s’évanouit, dans les bras de Jean.

— Elle s’est évanouie ! dit Jean, la voix tremblante de colère. M. Dupas je crois que vous avez tué votre fille.

— Elle est morte ! Elle est morte Mlle Marielle ! Le cher ange du bon Dieu ! sanglota Nounou.

Folle de douleur, la vieille servante s’approcha du canapé sur lequel Jean avait déposé Marielle.

Mme Dupas voulut s’approcher du canapé, à son tour, afin d’en éloigner Nounou ; mais Léo l’en empêcha. Grondant et montrant les dents à la nouvelle mariée, il l’eut mordue, si elle ne s’était reculée hâtivement.

— Cessez ce bruit ! dit Mme Dupas, en s’adressant à Nounou qui pleurait tout haut. Quant à vous, Messieurs, veuillez vous retirer, s’il vous plaît, et emmenez votre chien sauvage, M. Bahr. Nous préférons arranger nos affaires en famille.

— Comment ! s’exclama Jean. Laisser Marielle entre vos mains, à votre merci ! Jamais ! Marielle ! Marielle !

Mais Marielle restait insensible à ce qui se passait autour d’elle.

— Vous l’avez tuée, à vous deux, vous, M. Dupas, et vous, misérable femme ! cria Nounou.

— Nounou, dit Pierre Dupas, tu vas passer la porte immédiatement ! Je te chasse du « Manoir-Roux » ! Je te chasse, entends-tu ? Va-t-en !

— Chassez-moi tant qu’ça vous plaira ! répondit, Nounou. Quand j’partirai d’ici, ce sera avec Mlle Marielle. Sa mère à Mlle Marielle, son ange de mère m’a fait promettre de n’jamais abandonner sa chère petite… et j’ai promis… M’en aller ! Jamais… Et, permettez-moi de vous l’dire, avec tout l’respect que j’vous dois, M. Dupas, vous n’auriez pas dû choyer cette enfant comme vous l’avez fait et la traiter comme une princesse, si vous deviez la martyriser un jour, Mlle Marielle ne fait que pleurer depuis qu’vous la traitez si mal et, pour dire comme on dit…

— Sortez ! s’écria Mme Dupas, en s’adressant à Nounou. M. Dupas vous a chassée ; sortez, misérable vieille folle !

— Jamais ! répondit Nounou. Et, écoutez, M. Dupas : vous pouvez m’traîner hors d’ici par les cheveux, mais je r’viendrai encore et quand même… Je r’viendrai toujours et tant qu’j’aurai un souffle de vie, auprès de Mlle Marielle, ce pauvre cher ange, qui n’a pas de mère pour la défendre ou prendre son parti… Pensez-vous que j’vais la livrer à cette marâtre ? acheva-t-elle, en désignant Mme Dupas.

Un éclat de rire de Louise Vallier interrompit Nounou. Cet éclat de rire au milieu de la scène dramatique qui se déroulait en ce moment au « Manoir-Roux », avait quelque chose de très étrange.

— Vraiment, maman, dit Louise Vallier, en s’adressant à Mme Dupas et riant jusqu’aux larmes, c’est un beau retour de voyage que le vôtre ! Êtes-vous bien reçue un peu, dans la maison de votre mari ! ha ha !

— Mêle-toi de ce qui te regarde, Louise ! répondit Mme Dupas.

Mlle Marielle reprend connaissance ! dit, en ce moment, Jean Bahr. Nounou, venez avec moi ; nous allons monter Mlle Marielle dans sa chambre et vous ferez bien de la mettre au lit.

— De quel droit donnez-vous des ordres ici, M. Bahr ? demanda Mme Dupas, pâle de colère.

— Je vous prie bien de me pardonner, Madame, répondit Jean. Je n’ai certainement pas le droit de dicter mes volontés ici ; mais Marielle est ma fiancée et…

— Venez-vous, M. Bahr ? interrompit, sans cérémonie, Nounou.

— Si Mme Dupas le permet, dit Jean, en s’inclinant devant la nouvelle maîtresse du « Manoir-Roux ».

— Je la veillerai toute la nuit, la chère petite ! dit Nounou, en montant l’escalier, précédée de Jean portant Marielle dans ses bras. Oh ! qu’il y a des êtres méchants dans ce bas-monde ! Misère de misère ! sanglota la vieille et fidèle servante.

Quand Jean redescendit dans la salle, il trouva Maurice, au pied de l’escalier, qui l’attendait pour partir.

— Au revoir, M. Dupas, dit Jean. Je vous souhaite bien du bonheur… beaucoup de bonheur… si vous pouvez être heureux, sachant que vous avez brisé le cœur de votre fille.

Puis il sortit, suivi de Maurice.

Les deux jeunes gens demeurèrent muets jusqu’à ce qu’ils eussent atteint le « Gîte ». Au moment où Maurice prenait congé de Jean, il lui dit :

— Bahr, si j’étais vous, j’épouserais Mlle Dupas aussitôt que possible. Ne la laissez pas à la merci de cette misérable femme et de sa sotte fille.

— C’est bien mon intention d’épouser Mlle Marielle tout de suite ; mais il me faut obtenir le consentement de son père, Leroy. Marielle vient d’atteindre ses dix-sept ans seulement, et nous ne pouvons nous marier sans que M. Dupas le permette… Pauvre Marielle !

— Oui, pauvre Mlle Marielle ! répéta Maurice. Comme elle va souffrir de se voir supplantée dans la maison de son père par cette femme et sa fille Louise ! C’est un drame dans la vie réelle… M. Dupas, qui a vécu pour sa fille pendant tant d’années et qui, tout à coup, la délègue au troisième plan c’est tragique, vraiment !

— Si M. Dupas y consent, nous nous marierons tout de suite, je veux dire d’ici un mois, Leroy… Il est vrai que le « Gîte » n’est pas une demeure aussi confortable que le « Manoir-Roux » ; mais Marielle…

Mlle Dupas sera heureuse au « Gîte »… comme ailleurs, du moment qu’elle sera avec vous, Bahr, et au printemps, vous lui construirez une maison à son goût… Eh ! bien, bonne nuit ! J’espère que vous aurez des nouvelles de votre fiancée demain. Je passerai par le ma-