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— Voilà cette folle qui revient avec les chèvre ! s’écria Nounou.

— Mes pauvres chèvres ! dit Marielle, les larmes aux yeux. Ô M. Jean, comme elle les maltraite mes pauvres chèvres cette Louise Vallier !

Tous, Marielle, Jean et Nounou sortirent dans l’avenue des pins, et ils aperçurent Louise Vallier qui descendait de voiture. Les chèvres trempées comme si elles eussent essuyé une averse ; de plus, elles soufflaient très fort.

— Pauvre Brise ! Pauvre Bise ! dit Marielle, d’une voix tremblante, en flattant ses chèvres. Vous avez dû les mener très vite pour qu’elles aient si chaud et qu’elles soufflent si fort, Mlle Vallier !

— Mais, oui ! répondit Louise Vallier, avec un sourire que Jean trouva à la fois sot et méchant. Ça leur fait du bien à ces chèvres d’être menées à coups de fouet de temps à autre… Ah ! Comment vous portez-vous, M. Bahr ?

— Je me porte bien, je vous remercie, répondit froidement Jean. Je suis content que vous ayez fait une belle promenade, ce soir, car, les chèvres et la voiture, je regrette de vous le dire, ne seront plus à votre disposition dorénavant.

— Vraiment ! s’écria Louise Vallier.

— Je viens d’acheter les chèvres et la voiture de Mlle Dupas, Mlle Vallier, reprit Jean. J’en ai besoin ; Max, le garçon du magasin s’en servira désormais pour livrer les marchandises.

— Ah ! dit, seulement, Louise. Mais, se tournant du côté de Marielle elle ajouta : « C’est à vous que je dois cela, Marielle ; je m’en souviendrai. Vous connaissez le proverbe : Tout vient à point à qui sait attendre.


— Chère Marielle, dit Jean, après le départ de Louise Vallier, vous le comprenez, les chèvres vous appartiennent. Max viendra ici, chaque matin, prendre vos ordres, et la voiture sera à la porte du « Manoir-Roux » tous les jours et à l’heure que vous le désirerez.

— Je comprends, Jean, et je vous remercie ! Quel soulagement pour moi de savoir Brise et Bise sous vos soins ! Encore merci, cher Jean !

— Bonne nuit, Marielle ! dit Jean, en étreignant la jeune fille dans ses bras. Marielle ! Marielle ! Ma chère fiancée !

— Jean, mon cher fiancé ! murmura Marielle, À demain soir, n’est-ce pas ?

— Oui, à demain soir, ma bien-aimée !

Puis Jean monta dans la voiture et les chèvres partirent, d’un bon trot, dans la direction du « Gîte ».


CHAPITRE XXI

PAUVRE MARIELLE !


Dans la grande salle du « Manoir-Roux », Jean et Maurice veillaient avec Marielle. Nounou, dans un coin de la salle, tricotait, tenant ainsi compagnie aux jeunes gens, par respect pour les convenances.

Marielle venait de raconter à Maurice Leroy l’histoire de la malheureuse Ylonka.

— Et le spectre d’Ylonka hante le Rocher aux Oiseaux, acheva-t-elle.

— Chère Mlle  Dupas, vous ne devriez pas être superstitieuse à ce point, dit Maurice.

— Pourtant, M. Leroy, affirma la jeune fille, c’est le spectre d’Ylonka, le Spectre du ravin, qui nous avertit du danger. Il nous a avertis du danger que courait M. Jean quand, en essayant d’aborder cette île, l’automne dernier, il allait se noyer… Oui, avertis par le Spectre, nous sommes arrivés juste à temps pour sauver M. Jean, mon père, Nounou et moi… Ô ciel ! s’écria Marielle, tout à coup, en se couvrant les yeux de ses mains. Jean ! Jean ! Vous vous souvenez de la dernière fois que le Spectre a gémi autour de cette île ?… Nous l’avons entendu clairement, vous et moi.

— Je me souviens, répondit Jean.

— Jean ! Jean ! reprit Marielle, très excitée. Le Spectre du ravin ne gémit jamais en vain : le lendemain, Mme Vallier et sa fille arrivaient sur le Rocher aux Oiseaux et s’installaient à la « Villa Magdalena » !

— C’est vrai ! murmura Jean.

— Allons ! Allons ! Mlle Dupas ! dit Maurice. Il ne faut pas croire aux revenants, ni aux avertissements… Ces choses n’existent pas réellement… Merci de m’avoir parlé d’Ylonka, Mlle Marielle, ajouta-t-il en se levant, permettez-moi de vous offrir mes félicitations… Jean m’a fait part de la grande nouvelle ; je l’ai félicité, lui aussi… Vous serez heureux, tous deux, j’en suis certain !

— Merci, M. Maurice, répondit Marielle, en rougissant. Mais… vous ne partez pas déjà ?

— Vous avez, sans doute, bien des choses à vous dire, vous et votre fiancé, et je ne…

— Restez, M. Maurice, dit Marielle.

— Oui, restez donc, Leroy ! dit Jean. Il est près de neuf heures et il faut que je parte, moi aussi.

— M. Dupas n’est pas encore de retour ? demanda Maurice, en se rasseyant.

— Non. Il est allé à la Grosse Île ; je crois qu’il arrivera demain.

Un bruit de pas interrompit Marielle, et Léo se mit à gronder.

— Voilà mon père ! s’écria-t-elle, se levant et courant vers la porte d’entrée.

La porte s’ouvrit et Pierre Dupas franchit le seuil du « Manoir-Roux ».

— Père ! Père ! Oh ! soyez le bienvenu ! Je me suis tant ennuyée de vous ! Léo continuait à gronder.

— C’est évident que vous vous êtes beaucoup ennuyée ! dit une voix, en ce moment, et Léo se mit à aboyer avec colère.

Tous s’étant retournés, aperçurent, suivant Pierre Dupas… Mme Vallier et sa fille Louise.

— Madame Vallier ! murmura Marielle.

— Vraiment, M. Dupas, reprit Mme Vallier, vous accordez bien des libertés à votre fille, si vous lui permettez de veiller seule, ici, en compagnie de deux jeunes gens, sans chaperon…

— Pardon Madame, dit, en ce moment, Nounou ; mais Mlle Marielle n’veillait pas seule avec ces messieurs. J’étais là, moi !… Et puis, s’est-il d’vos affaires c’qui s’passe dans cette maison ?

— Nounou ! réprimanda Pierre Dupas.

— Eh ! bien, M. Dupas ?… Pensez-vous que j’vais laisser insulter Mlle Marielle par… ça dit Nounou, en désignant Mme Vallier, et ne rien dire ?

— Père ! Père ! dit Marielle, en se cramponnant à Pierre Dupas. Parlez-moi, père, et…