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le mystérieux monsieur de l’aigle

certains tressaillements chez la malade, et comme elle ne manquait pas d’expérience, elle croyait savoir ce que ces tressaillements voulaient dire.

— Un médecin ! Vite ! Un médecin, M. de L’Aigle ! dit-elle à Claude qui, aussi pâle que la malade, ne cessait de se lamenter et de pleurer.

Claude tira sur le cordon d’une sonnette et Eusèbe arriva aussitôt dans la bibliothèque. En voyant l’état dans lequel était Magdalena, le domestique eut un geste désolé.

Mme de L’Aigle… murmura-t-il.

— Vite, Eusèbe ! cria Claude. Le médecin ; celui de Saint-André ! Selle Albinos et mène-le ventre à terre ! Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu !

— Pauvre M. Claude ! balbutia le domestique. Et pauvre petite Madame !

— Pourvu que le médecin soit chez lui… murmura Mme d’Artois, après qu’Eusèbe eut quitté la bibliothèque.

— Vous croyez Magdalena en danger, Mme d’Artois ? demanda Claude, éclatant en sanglots.

— Hélas ! je le crains, M. de L’Aigle !

— Que… Que craignez-vous ? demanda-t-il.

— Je n’ose exprimer mon opinion… Attendons le médecin.

— Attendre ? Attendre ? Quand la vie de ma bien-aimée est en jeu !

— Il n’y a pas autre chose à faire, M. de L’Aigle et…

— Oh ! dit Claude, en marchant de long en large et se tordant les mains dans son désespoir. Qu’ai-je fait à Dieu, pour qu’il m’éprouve si affreusement.

— S’il vous plait, ne parlez pas ainsi ! implora Mme d’Artois. C’est… C’est blasphémer… presque… Il n’y a pas que les méchants ou les coupables qui soient éprouvés, ici-bas, voyez-vous !… Et puis, nous sommes entre les mains de Dieu ; le mieux, c’est d’avoir confiance en Lui et de le prier, si nous le pouvons. Lui seul est tout-puissant, ne l’oublions pas.

Après cela, Claude ne dit plus rien. Agenouillé près de la chaise-longue, il sanglotait tout haut, tandis que, dehors, la tempête de vent faisait rage. Mme d’Artois avait raison, tout à l’heure ; il n’y avait qu’à attendre le médecin ; oh ! combien il lui tardait de le voir arriver !

On était allé à la recherche de Rosine, et tandis que la fille de chambre humectait de cognac les lèvres de la malade, Mme d’Artois éventait doucement la jeune femme ou bien lui frictionnait les paumes des mains. Mais, à quoi servait ?… Magdalena était toujours dans le même état. Il n’y avait pas à en douter ; elle était en danger, et seul, le Grand Médecin pouvait la sauver. Inconsciemment, Mme d’Artois se mit à prier tout haut.

V

CE QU’ANNONÇAIT L’ENTÊTE

Le Docteur Thyrol était installé à Saint-André depuis deux ans seulement. La malchance l’ayant poursuivi, à la ville, il avait résolu de tenter fortune dans un village.

C’était un bien brave homme, le Docteur Thyrol ; un homme capable aussi. Mais, que voulez-vous ? de jeunes médecins étaient venus s’établir dans le même quartier que lui, à la ville, et vite, ils lui avaient enlevé sa clientèle. Ces jeunes médecins soignaient les malades au moyen de procédés modernes et, presqu’inconsciemment, sans malice assurément, l’homme plus âgé avait été abandonné. Pourtant, il en avait soigné et guéri plus d’un et en plus d’une occasion ! Ainsi va le monde et il n’y a pas à le changer : le nouveau l’intrigue et l’attire toujours.

Le Docteur Thyrol avait cinquante-cinq ans. Il était marié, et sa femme était une personne intelligente, aimable, intellectuelle et très douée. Sans doute, Mme Thyrol eut de beaucoup préféré ne pas quitter la ville, où elle avait toujours vécu ; mais elle savait que « qui prend mari prend pays », et elle avait essayé de paraître gaie à la pensée d’aller demeurer à Saint-André, afin de ne pas décourager son époux.

Bien vite, les villageois étaient accourus au bureau de leur médecin et tous avaient en lui une extrême confiance ; confiance bien placée, on le sait. La clientèle devint nombreuse, quoique peu payante, à cause du tarif, qui n’était pas aussi élevé pour les médecins de campagne que pour les médecins des villes. Qui expliquera le pourquoi de cela ?… Car, on ne saurait en douter, rien n’est fatigant et épuisant comme la pratique de la médecine à la campagne.

M. et Mme Thyrol s’arrangeaient bien cependant, à Saint-André, où les loyers étaient peu chers et le coût de la vie peu élevé.

Mme Thyrol avait une ambition, ou plutôt un désir, pourtant ; c’était que son mari eut pour clients les de L’Aigle. Mais M. et Mme de L’Aigle se faisaient soigner par un médecin de la Rivière-du-Loup et ils ne l’abandonneraient pas pour celui de Saint-André. Il y avait aussi le personnel de L’Aire ; ce serait de bonnes pratiques pour son mari que ces gens… Inutile d’y penser cependant.

Mais, un soir du mois d’octobre, vers les onze heures, on frappa à la porte de la maison des Thyrol. Le médecin sortit sur le balcon du deuxième étage et il vit un homme monté sur un grand cheval, blanc comme de l’albâtre.

— Qui est là ? demanda-t-il.

— C’est Eusèbe, un domestique de L’Aire, lui fut-il répondu. Vous êtes le Docteur Thyrol, n’est-ce pas ?

— Oui, je suis le Docteur Thyrol. Qu’y a-t-il ?

— Je suis venu vous chercher, Docteur. Mme de L’Aigle… Elle est très malade.

Mme de L’Aigle ? Ah ! Je descends dans quelques instants.

— Il vous faudra faire le trajet à cheval, tout comme moi, Docteur, dit Eusèbe. J’espère que votre cheval…

— Jumbo, mon cheval, est aussi une bonne bête de selle, assura le médecin.

Tout en endossant ses habits, le Docteur Thyrol disait à sa femme :

— Leola, on vient me chercher. C’est un do-