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le mystérieux monsieur de l’aigle

Corbot, et c’est tout… tout ce qui concerne les gens de G…, dans tous les cas, avait-elle ajouté.

Martin avait été mis à l’école, et Prudence avait fait comprendre à la maîtresse qu’elle entendait qu’il ne devint pas le patira des autres enfants… Le patira ?… Ce fut lui, le petit bossu, qui fit des patira des autres écoliers. Hypocrite, menteur, lâche, traître, méchant, il trouvait le moyen de faire punir ses compagnons, pour des choses qu’il avait faites lui-même, le plus souvent. N’osant se battre franchement, comme les autres garçonnets, il les frappait par derrière, au moment où ils s’y attendaient le moins, et déjà, à cet âge, il se fiait sur son infirmité, sachant bien qu’elle le protégeait, en quelque sorte. Si quelqu’écolier se vengeait, à la fin, ainsi qu’un chien battu, l’boscot allait geindre et se lamenter à la maîtresse d’école ; celle-ci punissait, alors, sévèrement le coupable, et le faisait rougir, devant toute la classe, d’avoir osé s’attaquer à un infirme, un enfant sans défense. Sans défense ?… À dix ans, Martin Corbot était déjà… favorisé de mains et de pieds énormes et il savait s’en servir. Plus d’un écolier portait, souvent, des marques de coups de poing et de coups de pied du bossu ; ces coups étaient administrés lâchement, alors qu’on ne s’y attendait nullement, je l’ai dit plus haut ; ils n’en portaient pas moins pour cela.

La maîtresse d’école avait essayé de protéger le petit monstre, en le faisant asseoir auprès d’elle ; alors, Martin Corbot s’était mis à jouer des tours à celle qui essayait de le protéger. Au moyen de braquettes, il avait, un jour, cloué le bas de la jupe de la maîtresse d’école (une toute jeune fille) à la tribune servant de piédestal à son pupitre, et lorsque celle-ci avait voulu se lever, à la hâte, avec l’intention de corriger un élève récalcitrant, elle avait été retenue à la tribune, ce qui avait fait rire toute la classe, le bossu le premier. Une autre fois, il avait, par malice, renversé, tout un encrier sur des cahiers que la maîtresse venait de corriger. Une autre fois encore, il avait enfermé une souris dans le pupitre de la maîtresse, ce qui avait effrayé la pauvre jeune fille au point qu’elle avait presque perdu connaissance.

Finalement, Martin Corbot avait été remis à la vieille Prudence ; on avait essayé de le garder, dans les deux écoles du village ; mais c’était chose tout à fait impossible.

Alors, le curé entreprit l’instruction et l’éducation du boscot ; (rude tâche, cette dernière, assurément) !

III

L’BOSCOT, AU PRESBYTÈRE

Le curé de G… était un homme du genre du Curé d’Ars ; tout dévouement, bonté, charité, et doué d’une foi extraordinaire. Martin Corbot aurait bientôt onze ans et il n’avait pas encore fait sa première communion ; le curé se dit qu’il y avait du bon chez tous, et il allait entreprendre d’essayer de découvrir les bons points du bossu.

Tous les matins donc, à dix heures, on eut pu voir Martin s’acheminer vers le presbytère, où le curé lui faisait la classe jusqu’à midi. L’boscot n’était pas dépourvu de talent et il possédait une mémoire vraiment prodigieuse. Le curé étant très patient, son élève fit de rapides progrès.

Martin Corbot n’osait pas faire trop de farces, au presbytère. Pourtant, il trouvait le moyen de jouer des tours au curé qui se dévouait tant pour lui ; il cachait son étui à lunettes ; il enlevait l’image sainte marquant la place du curé dans son bréviaire ; surtout, il se gorgeait de vin de messe, dont il n’avait pas tardé à découvrir une bouteille, dans l’armoire de la salle à manger.

Mais, quelqu’un veillait : c’était Espérance, la ménagère du curé ; une femme de près de six pieds, pesant, pour le moins 200 livres.

Espérance avait constaté que certaines choses disparaissaient mystérieusement, depuis quelque temps ; le vin de messe d’abord, puis le dessert du diner, qu’elle venait de mettre sur la table, souvent. Comme elle soupçonnait Martin Corbot (ça ne pouvait être que lui le voleur), elle se mit à l’observer, sans qu’il s’en doutât. Un jour, elle le vit enlever de la table de la salle à manger, qui était toute servie pour le diner, une orange et une grappe de raisin, le modeste dessert de ce jour-là. En un clin d’œil, elle saisit le bossu par le bras, et elle lui administra une volée, oh ! mais ! une volée, dont il devait garder longtemps le… cuisant souvenir.

— Ah ! s’écriait-elle, tout en frappant Martin de la paume de ses mains, durcies par le travail. C’est toi, hein, l’boscot, qui voles le vin de messe de dans l’armoire, et le dessert de sur la table de M. le Curé ! Tiens ! Tiens ! vilain bossu ! Voilà pour t’apprendre à voler !… Voler M. le Curé ! Lui ! Un saint, qui se prive de tout, afin de pouvoir faire plus large la part des pauvres ! Tiens ! Tiens ! Et tiens encore !

La bonne Espérance tapait comme… une sourde, et Martin criait, hurlait presque. Le curé, qui venait de rentrer au presbytère, après être allé sonner l’angelus du midi, s’empressa d’accourir vers la salle à manger.

— Espérance ! Espérance ! s’écria-t-il. Comment pouvez-vous maltraiter ainsi ce pauvre petit infirme ?

— Tenez, M. l’Curé, j’en ai assez de ça ! répondit la ménagère. Car, respect que j’vous dois, ce bossu, ça profite de son infirmité pour faire des mauvais coups ; il se dit qu’on le prendra en pitié, quand même il ferait des choses pendables. C’est méchant, c’est voleur, c’est…

— C’est assez, Espérance !

— C’est bon ! C’est bon ! Je me tais. Mais, respect que j’vous dois, M. l’Curé…

— Dites-moi d’abord, Espérance, ce qu’a fait Martin, pour que vous le maltraitiez ainsi ?

— C’est un voleur que Martin, M. l’Curé ; un vrai ! Il boit votre vin de messe ; il vole votre dessert du diner ; il…

— Pauvre enfant ! fit le curé, en posant sa main sur l’épaule du bossu. Sans doute, il est privé chez lui. La vieille Prudence…