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le mystérieux monsieur de l’aigle
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— Oui Oui !

— C’est ici qu’elle demeure. Au troisième étage, la deuxième porte, à gauche…

— Merci, Madame ! Merci ! répondit l’homme en franchissant le seuil de la porte. J’espère que Mme d’Artois est chez elle, en ce moment ?

— Oh ! oui, elle est chez elle, répondit la femme. Elle me laisse toujours sa clef, lorsqu’elle sort… quoiqu’il n’y ait pas grand chose à voler dans sa chambre, je vous en passe mon billet ! Car, pour être pauvre, elle est pauvre cette dame ! Je disais à Armandine, (Armandine, c’est ma fille, Monsieur, et comment je viendrais à bout de mon affaire sans elle, je me le demande souvent, car il y en a de l’ouvrage dans cette maison ! Mais Armandine ! Ça n’a que dix-huit ans, Monsieur, et c’est déjà une femme de ménage comme il y en a peu) ! Je disais donc à Armandine, pas plus tard qu’hier, que j’étais certaine d’une chose ; c’était que Mme d’Artois ne mangeait pas toujours à sa faim.

— Mon Dieu ! fit l’auditeur de la concierge. N’exagérez-vous pas quelque peu les faits, Madame ?

— Non, Monsieur, je n’exagère nullement, je vous l’assure ! Bien des fois j’ai invité Mme d’Artois à prendre une tasse de thé avec nous, avec moi et Armandine je veux dire, sachant bien qu’elle (Mme d’Artois) n’avait pas dû manger plus qu’un repas, de toute la journée. Mais c’est fière, cette dame, trop fière pour accepter notre invitation, je ne vous dis que ça !

— Vous avez dis au troisième étage, n’est-ce pas ? demanda l’homme, voulant interrompre le verbiage de la concierge.

— Oui, Monsieur, au troisième, la deuxième porte, à gauche… Et j’espère que vous lui enverrez des élèves à Mme d’Artois ! Voyez-vous tous ses élèves sont partis pour la campagne et la bonne dame me doit un mois de loyer. Non que je craigne de perdre de l’argent avec elle, car, comme je le disais à Armandine l’autre jour, ce n’est pas Mme d’Artois qui partirait avec un mois de loyer, pour sûr ! Seulement ce n’est pas avant la fin de septembre qu’elle pourra me donner même un accompte. Si, au moins, jusque là…

— Au revoir, Madame, dit l’homme de la campagne, décidé, à tous prix, de mettre fin à ce flot de paroles.

Hâtivement, il franchit les deux escaliers conduisant au troisième étage, et bientôt, il frappait à la deuxième porte, à gauche. Épinglée sur l’un des panneaux de cette porte était une carte de visite, sur laquelle on pouvait lire : « Madame d’Artois, Leçons de piano, à domicile ».

Il entendit des pas se diriger vers la porte… Rien n’indique l’état d’âme d’une personne, ou son caractère, comme ses pas ; il y a des pas lents et mesurés, des pas alertes, hâtifs, des pas découragés, fatigués… Les pas de Mme d’Artois indiquaient soit le découragement soit une grande fatigue, physique et morale.

Mais la porte fut ouverte, et aussitôt, une exclamation de surprise et d’excessive joie jaillit des lèvres de Mme d’Artois (une de nos connaissances d’autrefois, on s’en souvient.)

M. Lassève ! Oh ! M. Lassève !

Mme d’Artois ! Chère Mme d’Artois ! fit notre ami de la Pointe Saint-André. Comment vous portez-vous ? Chère Madame ?

— Bien… Assez bien… Mais, entrez, je vous prie ! Vous êtes le bienvenu des milliers et des milliers de fois ! Oh ! Quel bonheur de vous revoir ! s’écria-t-elle, en se rangeant pour laisser passer son visiteur.

La chambre dans laquelle pénétra Zenon Lassève, meublée pauvrement, très pauvrement de meubles à moitié défoncés, la chambre dis-je, était étroite, obscure une sorte d’alcôve que n’éclairait qu’une étroite fenêtre. « Éclairait » n’est pas le mot approprié ; la fenêtre en question servait, tout au plus, à aérer la pièce, car, à moins de six pieds de cette fenêtre s’élevait le mur d’un bâtiment de cinq à six étages ce qui, nécessairement, obscurcissait la pièce davantage. Un bec de gaz était allumé, éclairant l’alcôve plus ou moins bien. Cette lumière artificielle augmentait la chaleur de la pièce ; de plus, elle jetait une « odeur de mort », qui frappait fort désagréablement l’odorat de qui venait du dehors. Pauvre Zenon Lassève ! Il avait espéré pouvoir se rafraichir un peu dans cette maison en pierres de taille ! C’était pire, bien pire que dehors !

— Depuis quand êtes-vous à Montréal, M. Lassève ? demanda Mme d’Artois, lorsqu’ils eurent pris place, chacun, sur l’un des fauteuils à moitié démolis que contenait la chambre.

— Depuis hier soir seulement, répondit Zenon. Vous le voyez, ajouta-t-il en souriant, je n’ai pas retardé à venir vous rendre visite.

— Que je suis heureuse, heureuse de vous voir ! Jamais je ne pourrais vous le dire assez !

— J’ai des excuses à vous faire, Mme d’Artois. La lettre de… de condoléances que vous m’avez écrite, lors de… du… décès de Magdalena, est restée sans réponse. Je le regrette… Mais les circonstances… Dans tous les cas, j’avais gardé votre adresse, comme vous le voyez.

— Je suis retournée à G…, depuis que vous en êtes parti. J’y ai passé trois jours, dit Mme d’Artois. J’avais espéré y trouver des élèves pour le piano ; mais j’ai vite compris que je n’y ferais pas mon affaire. On m’a parlé de la dernière maladie de cette pauvre petite Magdalena, de son décès, de ses funérailles… Pauvre, pauvre Magdalena ! Vous le savez, M. Lassève, je l’aimais cette enfant comme si elle eut été ma fille !

— Elle vous aimait, elle aussi, et jamais elle n’a oublié les bontés que vous avez eues pour elle répondit Zenon. Qui avez-vous vu à G…, Mme d’Artois ? reprit-il.

— Je n’ai vu que les Lemil ; ils m’avaient invitée à passer une journée chez eux. Vous le savez sans doute, Jacque Lemil est remarié…

— Non, je ne le savais pas.

— Il a épousé une jeune fille de Montréal. Je suis aussi allée chez Pierre Lemil ; j’ai donc revu votre maison, M. Lassève ; rien n’y était changé. Inutile de vous dire que ce sont eux, les Lemil, qui m’ont appris que vous aviez quitté G…, le lendemain des funérailles de Magdalena et que vous étiez allé demeurer