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le mystérieux monsieur de l’aigle

les entendit certes pas, car elle dormit, tout d’un trait, jusqu’à dix heures du matin.

Notre héroïne n’avait pu retenir ses larmes, au moment de dire adieu à leur hôte. Son séjour à L’Aire avait passé comme un rêve, et elle se demandait quand elle reverrait Claude maintenant.

— Adieu, M. de L’Aigle, et merci !

Elle n’en put dire davantage, car elle venait d’éclater en sanglots.

— Au revoir plutôt, mon petit ami ! répondit Claude. Je regrette de vous voir partir si tôt. Il est malheureux que votre oncle n’ait pas consenti à passer au moins le reste de la semaine ici.

— Je n’oublierai jamais cette visite que nous venons de faire, dit Magdalena. D’ailleurs, je n’aurai qu’à jeter les yeux sur cette belle, belle petite bague, pour y penser, ajouta-t-elle, en levant sa main gauche, à l’annulaire de laquelle brillait une bague en or, surmontée d’un escarboucle d’une valeur bien plus grande qu’elle ne le supposait. En effet, l’escarboucle est beaucoup plus rare que le diamant ; conséquemment, il est d’un prix très élevé.

— Ce n’est pas grand’chose cette bague, vous le savez, Théo ; mais vous avez promis de la porter toujours, en souvenir de votre séjour chez moi, rappelez-vous en.

Cette bague dont il était question entr’eux, voici comment Magdalena l’avait en sa possession. Au dîner du Jour de l’An, au moment du dessert, Eusèbe avait apporté et placé près de son maître un plateau contenant une dizaine de verres et deux carafes de vin. À côté de ce plateau, il mit un gâteau glacé de blanc, dont le dessin, en sucre rose, représentait un aigle, aux ailes largement tendues. Se dirigeant ensuite vers les portes de la salle à manger, il les ouvrit toutes grandes et aussitôt entraient les domestiques : Candide, Rosine, Xavier, Pietro, précédés d’Euphémie Cotonnier.

Certes, Euphémie avait hésité avant de se décider à accompagner « la domesticité » on le pense bien. Mais elle n’avait jamais vu la salle à manger et la curiosité l’avait emporté sur ses autres sentiments.

À l’arrivée d’Euphémie et des domestiques, Claude se leva et leur dit :

— Mes amis, à l’encontre de ce que nous faisons chaque année, nous allons manger ensemble le gâteau des Rois, le premier jour de l’an. Si j’avance ainsi la date, c’est à cause de mes visiteurs, ajouta-t-il, en désignant Zenon et Magdalena, car je désire qu’ils assistent à cette petite cérémonie annuelle. Ce gâteau, je vous en avertis toujours fidèlement, contient une bague ; donc défiez-vous ! continua-t-il en souriant. La légende veut que celle ou celui qui trouve la bague dans son morceau de gâteau, se marie, avant la fin de l’année…

— Oh ! Vraiment ! fit Euphémie, d’un ton très affecté et essayant de rougir, ce à quoi elle ne réussit guère.

Les domestiques la regardèrent avec étonnement ; ce n’était pas l’habitude d’interrompre M. de L’Aigle lorsqu’il adressait la parole à ces gens.

— Tais-toi, Euphémie dit, tout bas, Candide.

— Approchez-vous, mes amis, reprit Claude.

Tous s’approchèrent et Claude versa du vin dans des verres, il coupa le gâteau, puis il fit signe à chacun de se servir, après quoi il servit ses invités et se servit lui-même.

Zenon et Magdalena s’étaient levés, eux aussi, à l’arrivée des domestiques.

— À votre santé, mes amis ! fit Claude, en levant son verre.

— À la santé de M. de L’Aigle, notre bon maître ! répondirent les domestiques. À son bonheur, à sa prospérité !

Tous burent et mangèrent du gâteau.

Soudain, Magdalena fit un léger cri : ses dents venaient de rencontrer un objet résistant, qu’elle se hâta de retirer de sa bouche.

— C’est… C’est… la bague… balbutia-t-elle, en rougissant.

— Ah ! s’exclama Claude, en souriant, Mesdames et Messieurs, ajouta-t-il, c’est M. Théo Lassève qui a trouvé la bague, dans son morceau de gâteau.

— Vive M. Théo Lassève ! s’écrièrent-ils.

— La légende… commença Euphémie, en riant d’un rire forcé (combien elle eut désiré trouver la bague ! Qui sait quels résultats cela eut eu) !

— La légende, en effet… répondit Claude.

M. Théo Lassève n’est qu’un garçonnet…

— C’est vrai, et il semble que la légende n’a pas de sens, en ce cas, répondit Claude en souriant. Comme le dit Mlle Cotonnier, M. Théo n’est qu’un garçonnet… Cependant…

— Vive M. Théo ! répétèrent les domestiques, puis ils se disposèrent à quitter la salle à manger.

— Je vous souhaite une bonne et heureuse année, mes amis ! dit Claude.

— Bonne et heureuse année, M. de L’Aigle ! firent-ils tous, puis ils retournèrent dans leurs quartiers, toujours précédés d’Euphémie.

— Eusèbe ! appela Claude. Va nettoyer cette bague. Elle a été cuite avec le gâteau et… ça y parait, ajouta-t-il en souriant.

Il fit à son domestique un signe presqu’imperceptible. Celui-ci sortit, emportant la bague. Mais il revint bientôt et présenta à Magdalena, sur un petit plateau, le joyau nettoyé, dont la pierre luisait comme un soleil.

— Cette bague… N’est-elle pas d’une grande valeur, M. de L’Aigle ? demanda Zenon, d’un ton grave.

— Mais non ! Un simple anneau d’or surmonté d’un petit rubis, affirma Claude, sans même rougir d’un pareil mensonge. Il faut que vous promettiez de la porter toujours, Théo, ajouta-t-il en riant.

— Je promets de la porter toujours, répondit Magdalena, avec, peut-être, un peu plus de solennité que n’en demandait l’occasion.

Mais tout ceci s’était passé la veille. Le moment des adieux était venu. Zenon Lassève avait remercié Claude de son hospitalité si généreuse et il l’avait invité à venir leur rendre leur visite sous peu, si possible.

Au moment où la cariole emportant nos deux amis allait quitter le terrain de L’Aire, Eusèbe arriva en courant et leur ayant fait signe de l’attendre, il remit à Magdalena deux paquets assez volumineux.

— Cette boite, c’est Xavier qui vous l’envoie,