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le mystérieux monsieur de l’aigle

croyable. Debout, bien posé sur ses quatre pattes très fines, il regardait son maître et les étrangers qui l’accompagnaient de ses yeux très-grands et doux comme ceux d’une gazelle.

— Est-il en marbre ? demanda Magdalena, en désignant le cheval.

— Oh non ! répondit Claude en riant. Albinos est de chair et d’os ; mais il aime quelque peu à poser, je crois.

— Jamais je n’ai vu si belle bête de ma vie ! s’écria-t-elle. Et n’est-ce pas que ses yeux sont étranges ?… Si grands, si doux, si calmes … Ils me produisent un effet singulier vraiment !

— Je suis content que vous admiriez tant Albinos, Théo, fit Claude en souriant. C’est une bête unique en son genre aussi, et le meilleur cheval de selle qu’on puisse désirer. Je n’en ai vu qu’un qui peut lui être comparé et je l’ai acheté ; il me sera expédié le printemps prochain, de Victoria… Viens, Albinos, ajouta-t-il, en tendant une pomme au cheval.

Albinos s’avança tranquillement, ses pattes fines semblant à peine effleurer le plancher. Délicatement, sans se presser, il prit la pomme que lui tendait son maître et la mangea.

— Aimeriez-vous à lui offrir une pomme, mon petit ami ? demanda Claude à Magdalena.

— Il n’y a pas de danger, n’est-ce pas, M. de L’Aigle ? demanda Zenon. On ne sait jamais, voyez-vous… Un étranger…

— Ne craignez rien, M. Lassève. Appelez-le, Théo.

— Viens, Albinos ! dit la jeune fille.

Mais quand le cheval arriva près d’elle et qu’il la regarda avec ses yeux calmes et doux, la pomme s’échappa des doigts de la jeune fille et roula sur le pontage jusqu’à l’une des extrémités de la stalle.

— Eh ! bien, Théo ?

— C’est stupide de ma part, je sais, mon oncle ; mais je… je me suis sentie nerveux tout à coup.

Cependant, elle présenta un morceau de sucre au cheval, et même, passant son bras entre les barreaux de la barrière, elle le flatta doucement. Albinos se laissa faire, puis, lorsque Magdalena retira sa main, il la regarda fixement de ses yeux quelques peu étranges.

M. de L’Aigle, dit-elle en souriant, lorsqu’on fut attablé pour le lunch, vous possédez des chevaux… singuliers…

— Vous trouvez, Théo ?

— Oh ! oui !… Lucifer et Inferno… ils sont… terribles ! Albinos… il est… étrange…

— Allons, Théo ! Allons ! s’exclama Zenon. Albinos est un cheval extraordinairement beau ; une bête comme je n’en avais jamais vue de ma vie, excepté sculptée dans le marbre ; mais il n’a rien d’étrange assurément !

— Ses yeux…

Mais personne ne l’entendit, car, à ce moment, un rayon de soleil pénétra dans la salle à manger.

— Ah ! Voilà le soleil ! s’écria Claude. M. Lassève, Théo, ajouta-t-il, vous allez pouvoir juger de l’effet des vitres coloriées du corridor d’entrée et examiner les dessins de chaque châssis enfin. Si vous le voulez bien, nous nous rendrons là immédiatement, afin de profiter de ce rayon de soleil.

— Oh ! oui ! s’exclama Magdalena. Il est si beau ce corridor ! Et quand le soleil le pénètre à travers les fenêtres, ça doit être splendide !

C’était splendide en effet. Les vitres coloriées jetaient mille feux dans le corridor. Claude se mit en frais d’expliquer à ses amis les sujets des tableaux que représentait chaque châssis.

En passant près de l’aigle en bronze, Magdalena ne put s’empêcher de se reculer un peu.

— Avez-vous peur de l’aigle de bronze, Théo ? demanda Claude en riant.

— … Presque… répondit-elle. Je vous raconterai le rêve que j’ai fait la nuit dernière, M. de L’Aigle, et vous comprendrez pourquoi je…

— Tout songe mensonge, mon petit ami !

— Que c’est magnifique ce corridor… malgré l’aigle de bronze ! dit la jeune fille en souriant. On dirait une cathédrale !

— Maintenant, mes amis, dit Claude, si vous voulez me suivre dans mon étude, je vais vous montrer ce globe céleste dont je vous ai parlé ce matin. Puisque nous avons projeté de passer une partie de la veillée dans mon observatoire, à étudier les astres, à travers le télescope, le globe que je vais vous montrer ne manquera pas de vous intéresser, j’en suis certain.

Lorsqu’ils entrèrent dans l’étude, Magdalena et Zenon virent une jeune fille aux cheveux très roux, aux yeux bleus très pâles, installée auprès d’une table, dans un coin, et occupée à écrire. Elle leva la tête et jeta un regard quelque peu scrutateur sur nos amis ; mais, rassurée, sans doute, elle fit une petite inclinaison de la tête et se remit à écrire. Et ce fut là la première rencontre entre Magdalena et Euphémie Cotonnier, la secrétaire de Claude de L’Aigle.

XV

LA SECRÉTAIRE

Euphémie Cotonnier était secrétaire de Claude de L’Aigle depuis le mois d’octobre précédent seulement.

Jamais Claude n’aurait songé à engager une secrétaire probablement, si Candide, la cuisinière de L’Aire, depuis bien des années, ne le lui en eut suggéré l’idée.

Un après-midi du mois de juillet, alors que Claude était occupé dans son étude, quelqu’un frappa à la porte ; c’était Candide. Ayant reçu la permission d’entrer, elle dit :

— J’vous d’mande bien pardon de m’présenter ainsi, M. de L’Aigle ; mais j’désirerais beaucoup vous parler d’ma nièce Euphémie.

— Oui ? fit Claude. Je vous écoute, Candide.

— Voici, M. de L’Aigle : Euphémie est la fille, ou plutôt l’enfant unique de mon unique sœur, Mme Cotonnier. Lorsqu’Alexis Cotonnier, mon beau-frère, mourut, il y a dix-sept ans, il laissait ma pauvre sœur dans la presque misère, avec une petite fille de deux ans sur les bras : Euphémie, j’veux dire. Mais