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le mystérieux monsieur de l’aigle

bruits et ils déménageaient dans d’autres logements, aussitôt qu’ils le pouvaient… ce qui était assez ridicule, selon moi, dit Zenon en riant, car rien n’est moins dangereux que des planchers qui craquent.

— C’est curieux qu’on n’entende pas craquer les planchers de cette maison durant le jour, n’est-ce pas, mon oncle ?

— Durant le jour, vois-tu, Théo, il y a du va et vient ; on n’y porte pas attention. Et maintenant, mon garçon, tu ferais bien de te mettre au lit et de dormir. Moi, je vais m’installer sur le canapé et lire ; de cette manière, ton énervement se passera. Allons ! Couche-toi, mon garçon, et dors !

La première cloche sonnant le déjeuner éveilla Magdalena. Jetant les yeux sur le cadran ornant la cheminée, elle vit qu’il était huit heures et demie ; on devait déjeuner à neuf heures alors.

Elle fut vite debout, et s’approchant de l’une des fenêtres, elle vit que le vent soufflait en tempête. La neige tombait par gros flocons serrés et il poudrait à ne pouvoir distinguer rien, à plus d’une dixaine de pieds de soi. Cette tempête allait intervenir avec les plans de M. de L’Aigle ; il avait dit, la veille, qu’on irait tous à la grand’messe à l’église du Portage.

Impossible de sortir par un pareil temps ; on risquerait de s’égarer en route ; plus que cela, on ne pourrait suivre le chemin balisé, le seul praticable.

En effet, comment distinguer les balises, à travers ces nuages blancs que soulevait le vent ?

Lorsque Magdalena sortit dans le corridor, elle vit Eusèbe, qui l’attendait, pour la conduire dans la salle à déjeuner, pièce fort coquette, qu’elle n’avait pas encore vue. Claude de L’Aigle et Zenon Lassève l’y avait précédée.

— Vous avez passé une bonne nuit, je l’espère, Théo ? demanda Claude, en tendant la main à son « petit ami ».

Elle échangea un regard rapide avec Zenon, mais elle répondit :

— Merci, M. de L’Aigle, j’ai bien dormi. Vous aussi, sans doute ?

— J’ai dormi comme un loir, merci, Théo.

Comme on achevait de déjeuner, Eusèbe entra dans la salle et déposa sur la table, près de Claude, une corbeille en osier contenant des pommes et des morceaux de sucre du pays, puis il se retira.

— Mes amis, dit le propriétaire de L’Aire, j’ai l’habitude de faire une tournée aux écuries chaque matin, après le déjeuner. Si vous désirez m’accompagner, vous êtes les bienvenus.

— Certes, nous vous accompagnerons ! répondit Zenon. Rien ne nous fera plus plaisir ; de plus, nous avons hâte de revoir Rex ; n’est-ce pas, Théo ?

— Vous venez d’exprimer mes sentiments, mon oncle, fit Magdalena en souriant. Il nous fera grand plaisir de vous accompagner, M. de L’Aigle, ajouta-t-elle.

— Alors, allons ! dit Claude, en se levant de table, exemple que suivirent ses visiteurs.

Après s’être vêtus chaudement, tous trois, ils se dirigèrent vers les écuries, vaste bâtiment en pierre, du côté droit de la maison.

— Les écuries de L’Aire sont mieux tenues que bien des maisons, M. de L’Aigle, observa Zenon en riant.

— Pietro, mon homme d’écurie, est un trésor, un vrai, répondit Claude.

— Je le vois bien, dit Zenon.

Sur un passage large et bien éclairé s’ouvraient les stalles. Chaque cheval était chez lui et libre de prendre ses ébats comme il le désirait. Des barrières en fer forgé allant presque d’un plancher à l’autre, fermaient les stalles.

Les deux premiers compartiments servaient d’abri aux chevaux d’équipage. Nous l’avons dit, ces chevaux étaient noirs comme la nuit ; c’était aussi de fougueuses bêtes.

Lorsqu’on s’approcha de la première stalle, le cheval qu’elle contenait se mit à ruer, à renâcler, à se mâter, puis, les oreilles couchées, les dents découvertes et marchant seulement sur ses pattes de derrière, comme si c’eut été une chose bien naturelle chez lui, il s’élança vers la barrière, avec l’évidente intention de foncer dessus. Zenon saisit Magdalena par les épaules et la plaça derrière lui.

— Quel cheval vicieux ! s’écria-t-il. Comment pouvez-vous garder de pareilles bêtes, M. de L’Aigle ?

— Eh ! bien, Lucifer !

C’est Claude qui venait de parler au cheval. Aussitôt, il se produisit une sorte de phénomène : Lucifer se mit sur ses quatre pattes, puis dressant les oreilles et doux comme un agneau, il s’approcha de la barrière, recevant de la main de son maître deux pommes et un morceau de sucre, qu’il mangea en hochant la tête d’un air satisfait.

Arrivé à la stalle voisine de celle de Lucifer, ce fut à recommencer : le cheval rua à plus d’une reprise, il se mâta, coucha des oreilles, montra toutes ses dents, et même, la tête baissée et renâclant avec force, il se précipita vers la barrière.

— Eh ! bien, Inferno !

Et le même phénomène que tout à l’heure se produisit : Inferno devint doux comme un agneau, à la voix de son maître.

— Tout de même ! marmotta Zenon. Je ne garderais pas de chevaux de cette trempe pour tout l’or du monde !

— Rex ! Oh ! Cher beau Rex ! fit soudain Magdalena, car on venait d’arriver à la stalle contenant le cheval de Séverin.

Rex hennissait tout bas et il piochait le pontage pour prouver son contentement. Lorsqu’il s’approcha de la barrière, ce fut gentiment, les oreilles pointées, les yeux doux.

Claude présenta la corbeille à la jeune fille et c’est elle qui offrit à Rex deux pommes et un morceau de sucre.

Les deux stalles suivantes étaient vides.

— L’été, elles contiennent chacune un cheval de selle, expliqua Claude. Je n’en garde qu’un durant l’hiver ; il est dans le dernier compartiment.

Ils se dirigèrent vers la dernière stalle et lorsqu’ils y arrivèrent, un cri d’étonnement et d’admiration s’échappa des lèvres de Magdalena et de Zenon. Ils virent un cheval blanc, tout blanc ; si blanc que ce n’était presque pas