Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
le mystérieux monsieur de l’aigle

son lit. Ses yeux démesurément ouverts étaient remplis de frayeur ; ses lèvres tremblantes étaient blanches comme ses joues, desquelles tout le sang semblait s’être retiré. Le cœur palpitant, la pauvre enfant s’attendait, à chaque instant, à ce qu’une main essayât d’ouvrir la porte de sa chambre qui, heureusement, était fermée à clef.

Mais voilà que les pas s’éloignaient… Ils continuaient leur chemin, vers l’extrémité opposée de celle d’où ils étaient venus.

— C’est parce que je suis dans une maison étrangère que je suis si nerveuse se dit-elle. Si quelqu’un trouve à propos de se promener dans les corridors, ça ne me concerne réellement pas.

Tout de même, elle leva plus haute la mèche de sa lampe, puis, domptant, à force de volonté, un reste de frayeur, elle se leva et jeta deux morceaux de bois sur les braises que contenait le foyer.

Rassurée, jusqu’à un certain point ensuite, elle se coucha. Mais à peine eut-elle fermé les yeux qu’elle les rouvrit tout grands. Les pas de tout à l’heure… Ces pas furtifs… ces craquements du plancher… Elle les entendait de nouveau… Non plus dans le corridor ; mais dans sa chambre ! Oui, dans l’alcôve !… Ces pas, elle les entendait clairement… Par moments, ils paraissaient venir de l’autre bout de l’alcôve… en d’autres moments, ils s’approchaient des lourds rideaux de peluche… Magdalena s’attendait de voir apparaître, d’un instant à l’autre, soit une main, soit un visage, entre les portières.

Elle eut voulu crier, appeler : « Mon oncle » ! elle était trop véritablement effrayée cependant pour qu’aucun son sortit de sa bouche.

Et ces pas… Ces pas furtifs, dans l’alcôve !… Il y avait là quelqu’un elle ne pouvait avoir aucun doute là-dessus, car Magdalena n’était pas superstitieuse ; elle ne croyait conséquemment pas aux revenants.

À ce moment, elle entendit frapper à la porte, et une voix lui parvint par le trou de la serrure :

— Théo !

— Mon oncle ! s’écria-t-elle.

Elle courut ouvrir, et Zenon, marchant sur la pointe des pieds, entra.

— Qu’y a-t-il, Théo ? demanda-t-il, parlant bas. Je t’ai entendu aller et venir ; je craignais que tu fusses malade… Et tu l’es malade, n’est-ce pas, mon enfant ? Comme te voilà pâle et défait !

— Non, je ne suis pas malade, répondit Magdalena, parlant bas, elle aussi. J’ai… j’ai peur, par exemple !

— Peur ?… Peur de quoi, Théo ?

— N’avez-vous pas entendu ces pas furtifs dans le corridor, tout à l’heure, mon oncle ?… Ces craquements du plancher, c’était… sinistre !

— Non, je n’ai rien entendu.

— Ils venaient de l’autre extrémité du corridor… ils se sont arrêtés près de la porte de ma chambre, puis ils se sont éloignés.

— Je n’ai rien entendu, je le répète, répondit Zenon. Peut-être as-tu rêvé, Théo ?

— J’étais éveillée comme je le suis en ce moment, mon oncle.

— Eh ! bien, puisque les pas se sont éloignés, tu n’as plus rien à craindre, n’est-ce pas ?

— Mon oncle, fit Magdalena, il y a quelqu’un dans cette chambre.

— Hein ! Tu dis ?…

— Je dis qu’il y a quelqu’un dans cette chambre… Là… dans cet alcôve…

— Allons donc !

— Écoutez !…

Zenon écouta, mais il n’entendit rien.

— Tu as rêvé, mon garçon, fit-il en souriant.

— Écoutez ! Écoutez ! N’entendez-vous rien ?

Zenon prêta, de nouveau, l’oreille et, cette fois, il parvint un bruit étrange, comme celui que ferait une personne marchant avec une extrême précaution. Le plancher craquait… Ces craquements arrivaient évidemment de l’alcôve…

— Il faut aller voir qui est là dit Zenon, s’emparant de la lampe et se dirigeant vers l’alcôve.

— Ne me laissez pas seule ici ! supplia Magdalena, pâle jusqu’aux lèvres. J’ai peur, excessivement peur !

— Désires-tu m’accompagner ? Veux-tu te charger de la lampe, Théo ?

— Oui ! Oui ! Donnez-moi la lampe !

Tous deux se dirigèrent vers l’alcôve, dont les portières étaient hermétiquement fermées.

— Mon oncle ! Prenez garde, mon oncle ! Qui sait ce que cachent ces rideaux ?

Brusquement, Zenon ouvrit les portières et jeta un coup d’œil dans l’alcôve… Il n’y avait personne… Pourtant, lui et Magdalena avaient bien entendu des pas allant et venant dans cette pièce, tout à l’heure !

L’alcôve, quoique grand, n’avait pas de fenêtres, puisque le Roc du Nouveau Testament lui servait de mur principal, tout comme à la chambre à coucher y attenant. Il n’y avait pas de porte non plus ; la seule manière d’y pénétrer étant au moyen de la chambre à coucher.

— Tu le vois, Théo, il n’y a personne ici, fit Zenon, après avoir ouvert les portes des garde-robes et examiné tous les coins et recoins de l’alcôve.

— Mais alors ?…

— Ces craquements qui t’ont tant effrayée, proviennent des planchers de cette maison, tout simplement. Qui peut expliquer cela ?… Probablement que le bois des planchers a été posé avant qu’il fût tout à fait sec et il continue à « travailler » ; voilà. Probablement aussi que les gens de la maison sont habitués à ces craquements et qu’ils ne s’en aperçoivent même plus.

— C’est la première fois que j’entends parler de pareille chose, répondit Magdalena.

— Pas moi, fit Zenon. Quelqu’un que j’ai connu déjà avait loué une maison dont les planchers craquaient continuellement et dont les portes se fermaient brusquement comme sous des mains invisibles. Il n’y resta pas longtemps, car il considérait cela comme étant pour le moins désagréable.

— Je le crois sans peine !

— Cette maison dont je te parle ne se louait que rarement ; les locataires n’aimaient pas ces