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le mystérieux monsieur de l’aigle

chambre. Dans le corridor, elle rencontra Eusèbe ; il paraissait l’attendre.

— J’ai reçu l’ordre de vous conduire dans la salle à manger, M. Théo, dit le domestique.

— Mon oncle ? M. Lassève ?…

— M. Lassève est descendu depuis longtemps, M. Théo. Veuillez me suivre.

En passant dans le corridor, elle vit, de chaque côté, des chambres à coucher luxueuses, comme la sienne ; des boudoirs, des alcôves, etc. etc. Inutile de le dire, des tapis de velours assourdissaient les pas ; de ces tapis il y en avait dans toutes les parties de la maison.

La dernière cloche pour le diner sonnait, quand Magdalena entra dans la salle à manger. Encore une pièce luxueuse, celle-là, avec ses buffets, croulant, littéralement, sous le poids d’argenteries de grande valeur ; ses cabinets vitrés, remplis de plateaux, de vases, etc. en verre taillé ou en la plus fine des porcelaines.

Claude de L’Aigle et Zenon, debout près d’un foyer allumé, attendaient Magdalena, tout en causant ensemble.

— Suis-je en retard ? demanda-t-elle.

— Pas du tout ! répondit Claude. Vous vous êtes bien reposé, mon petit ami, je l’espère ?

— Oui, merci. Je l’avoue, j’ai dormi profondément, jusqu’à la première cloche annonçant le diner.

On se mit à table. Jamais nos humbles amis n’avaient vu autant de couteaux, de fourchettes, de cuillères, de verres de différentes formes et grandeurs pour un seul couvert. Aussi, avouons-le, ils en étaient quelque peu embarassés. Mais, du coin de l’œil, ils suivaient tous les mouvements de Claude et ils faisaient comme lui ; de cette manière, ils étaient certains de ne pas faire de gaffes. Tout de même, ils eurent un soupir de soulagement lorsque le repas fut terminé et que le maître de la maison leur proposa de se rendre aux serres, tel que promis.

XIII

LES JOYAUX VIVANTS.

Oh ! Les serres de L’Aire ! Magdalena n’en revenait pas ! Éclairées par de nombreuses mais minuscules lampes suspendues, elles ressemblaient à de vrais paradis terrestres à la pauvre enfant, qui aimait tant les fleurs.

Xavier fit les honneurs des serres ; c’était, en quelque sorte, son droit puisque c’était grâce à ses soins et à ses connaissances en botanique que les serres de L’Aire surpassaient en beauté tout ce qu’on aurait pu imaginer.

— Jamais je n’ai vu d’aussi belles fleurs de ma vie ! s’écria la jeune fille. Et il y en a tant ! Et toutes paraissent si… vivantes !

— C’est à Xavier, ici présent, qu’en revient l’honneur, Théo, dit Claude en souriant. Je vous l’ai dit peut-être ? Xavier est une perle, en son genre, une vraie.

— Vous êtes un artiste, un véritable artiste, Xavier ! s’exclama Magdalena. Que c’est beau ! Les fleurs sont des joyaux vivants, les plus beaux de la terre !

Après cela, Xavier aurait fait tout au monde pour rendre service au « petit pêcheur et batelier », croyez-le ! Le féliciter ! Admirer ses fleurs si sincèrement ! Ah ! Voilà qui réchauffait le cœur par exemple ! Il avait vu tant de gens visiter les serres de L’Aire d’un air indifférent, et cela lui avait toujours si grandement déplu à ce pauvre Xavier !

— La serre aux roses maintenant ! fit Claude. Elle est éclairée, n’est-ce pas, Xavier ?

— Mais, oui, Monsieur !

On traversa un corridor, et bientôt, on pénétrait dans la serre aux roses.

Si Magdalena s’était extasiée devant les fleurs de l’autre serre, dans celle des roses, elle demeura muette d’admiration ; c’est-à-dire que ses lèvres ne proférèrent pas un son ; mais la pâleur de ses joues, ses yeux agrandis et brillants comme des étoiles, ses mains croisées sur sa poitrine comme pour comprimer les battements de son cœur, parlaient assez haut. Jamais, non jamais elle n’avait rêvé même rien d’approchant la beauté de la serre aux roses ! Claude lui en avait parlé ; il avait essayé de la lui décrire… mais, la voir, c’était toute autre chose.

Nous l’avons dit, elle adorait les roses. Or, dans cette serre, elles étaient là en extraordinaire quantité et de toutes les nuances imaginables : des rouges, des blanches, des jaunes, des roses… La « masse de roses couleur saumon » dont Claude lui avait parlé, c’était ce qu’il y avait de plus splendide !

— Ô ciel ! Que Dieu est bon d’avoir créé les roses ! murmura-t-elle.

Sans peut-être s’en rendre compte, les trois hommes, c’est-à-dire Claude, Zenon et Xavier inclinèrent révérencieusement la tête, à cette exclamation de la jeune fille.

— Je vais vous en cueillir un gros bouquet, M. Théo, dit Xavier, en s’emparant d’une paire de ciseaux, qu’il prit sur une petite table.

— Oh ! non, Xavier ! s’écria Magdalena. Ne touchez pas aux roses, je vous prie !

— Mais… M. Théo…

— N’y touchez pas, Xavier ! répéta-t-elle. Elles sont si belles ainsi !… Les voir arrachées à leurs tiges… il me semble que ce serait assister à une sorte d’exécution… Merci, tout de même, Xavier ! Je pourrai revenir les voir, n’est-ce-pas ?

— Certes, M. Théo ! répondit le jardinier. Voyez-vous, M. Théo, moi aussi, j’aime les roses, j’aime donc, conséquemment, qui les aime.

— Viens, Théo ! dit Zenon alors, c’est assez d’émotions pour un soir, je crois.

— C’est bien, mon oncle ; je vous obéis. Mais, je vais y rêver à ces roses, je le sais. Cependant, malgré sa soumission, Zenon dut l’arracher littéralement à la serre aux roses.

— Ce brave Xavier serait prêt à donner sa vie pour vous désormais, je crois, Théo, fit Claude en riant, aussitôt qu’ils eurent quitté la serre.

— Pourquoi dites-vous cela, M. de L’Aigle ? demanda Magdalena.

— Vous avez admiré ses fleurs si sincèrement ! J’ai vu Xavier froncer les sourcils et presque serrer les poings, alors que ceux qui visitaient les serres disaient, du bout des lèvres souvent : « C’est joli, très-joli » ! puis ensuite parlaient d’autre chose.