Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
le mystérieux monsieur de l’aigle

je veux dire ; elle n’est pas aussi confortable que la vôtre, je vous en avertis ! fit-elle en riant.

Mais les chevaux s’impatientaient, et Claude dût quitter hâtivement Magdalena et aller rejoindre Zenon dans sa cariole. L’équipage de L’Aire venait le premier, suivi de la cariole des Lassève.

On partit. Inutile de dire que Froufrou occupait, lui aussi, une place dans la voiture de M. de L’Aigle. On allait lentement, très lentement. Ainsi que l’avait dit Claude, le chemin, de La Hutte à L’Aire n’était certes pas entretenu par le gouvernement, et quoique ce chemin fut tracé et indiqué au moyen de balises, la moindre déviation eut entraîné une catastrophe ; on pourrait arriver entre deux rochers, dans quelque précipice. Heureusement, les chevaux de Claude étaient bien dressés, et quoiqu’ils rongeassent leurs mords de bride parfois, leur instinct était infaillible ; ils savaient qu’un faux pas pourrait leur coûter peut-être la vie, à tous.

Quant à Rex, il suivait tranquillement l’équipage qui le précédait ; on pouvait se fier à lui ; lui aussi était bien dressé, et il comprenait… autant qu’un cheval peut comprendre, du moins.

Le Roc de L’Ancien Testament fut dépassé. Au loin, très au loin encore, on apercevait le Roc du Nouveau Testament qui servait de mur principal à la résidence de Claude de L’Aigle. Comme il tardait à Magdalena d’être arrivée à L’Aire ! Combien de fois elle avait rêvé d’être reçue là ! Mais aussi, combien peu elle avait cru y pénétrer un jour !

— Et dire que mon oncle allait refuser l’invitation de M. de L’Aigle ! se dit-elle. Jamais je ne m’en serais consolée, jamais ! Il est vrai que ses raisons étaient bonnes, à mon oncle, et que, malgré le désir que j’avais d’aller passer le Jour de l’An à L’Aire, je n’aurais pas consenti, moi non plus, à laisser Rex, sans nourriture et sans eau, pendant toute une journée. Heureusement, il y a place dans les écuries de L’Aire pour notre cheval !

On approchait du Roc du Nouveau Testament.

— Que c’est donc gentil, de la part de M. de L’Aigle, d’être venu nous chercher ! pensait encore Magdalena. Est-il aimable et bon !… Et est-ce surprenant que je… je… l’aime ? Claude… murmura-t-elle ensuite ; c’est un nom si doux ; oui, c’est un nom qui signifie bonté, ce me semble… Sûrement, Dieu le bénira pour sa gentillesse envers « Théo, le pauvre petit pêcheur et batelier », ajoute-t-elle, tandis qu’un sourire entr’ouvrait ses lèvres. Oui, que Dieu vous bénisse, Claude ! Moi, je ne puis que vous être reconnaissante et… et… vous aimer !

Elle sentit qu’elle allait pleurer ; mais elle parvint à refouler ses larmes. On arriverait bientôt à destination.

En effet, la cariole venait de tourner à gauche, et de pénétrer sous une énorme porte-cochère. Les chevaux décrivirent une courbe savante devant de larges marches en pierre. De chaque côté de ces marches, Magdalena vit de hautes colonnes, chacune d’elles supportant un immense aigle, en pierre aussi ; on était arrivé à L’Aire, le « château » de Claude de L’Aigle.

XII

« L’AIRE »

L’Aire était, véritablement, un château ; il n’y avait pas de doute là-dessus, et lorsque Magdalena pénétra dans un vaste corridor, suivie de Claude, une exclamation d’admiration s’échappa de sa bouche.

Le corridor d’entrée de L’Aire c’était plutôt une immense pièce, au plafond et aux murs en marbre blanc et au plancher en mosaïque. Du côté droit, en entrant, était une grande cheminée, dans laquelle brûlait des bûches de bois franc. De chaque côté de ce corridor, des portes doubles, vitrées, laissaient entrevoir des pièces somptueuses : les salons, la bibliothèque, le fumoir, la salle à diner, la salle à déjeuner. Au fond, un escalier, aussi en marbre blanc devait conduire aux chambres du deuxième palier. Les premières marches de cet escalier étaient très larges, puis elles allaient se rétrécissant. Une galerie aux garde-corps en fer ouvragé, entourait le corridor, au deuxième étage ; chacun pouvait quitter sa chambre à coucher ou son boudoir, s’installer sur cette galerie et voir ce qui se passait en bas, si tel était son désir. Dix fenêtres étroites mais très longues, aux vitres coloriées représentant chacune, un dessin quelconque, éclairaient la pièce… durant le jour ; pour le moment, elle était éclairée au moyen de splendides candélabres, au verre découpé. Il y avait, sur des consoles, des statues de marbre et de bronze, au centre, sur une colonne, était un énorme aigle en bronze.

— Soyez le bienvenu à L’Aire, Théo, mon petit ami ! dit Claude, aussitôt qu’ils eurent mis le pied dans le corridor, tous deux.

— C’est… C’est magnifique ! s’écria Magdalena. Jamais je n’ai vu rien d’aussi beau que ce corridor, M. de L’Aigle.

— Approchez-vous du feu, Théo, fit Claude, en présentant un siège à la jeune fille. Vous devez être à moitié gelé ?

— Je n’ai pas froid du tout, répondit-elle en souriant. Votre voiture était tellement confortable, voyez-vous !

— Tant mieux ! Tant mieux !

Il tira sur le cordon d’une sonnette et au bout de quelques instants parut une jeune servante, à qui Claude dit :

— Rosine, allez donc dire à Xavier de venir ici immédiatement.

— Bientôt, un homme, petit de taille et portant toute sa barbe, arriva dans le corridor.

— Xavier, lui dit Claude, allez donc dételer le cheval de M. Lassève. Et dites à M. Lassève que nous l’attendons.

— Bien, Monsieur, répondit Xavier.

Zenon parut être, lui aussi, très émerveillé de la beauté du corridor.

— Approchez-vous du feu, M. Lassève, lui dit Claude. Et que je vous répète ce que je viens de dire à Théo : vous êtes le bienvenu !

— Merci, M. de L’Aigle, répondit Zenon