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le mystérieux monsieur de l’aigle

dant un bruit de grelots. Il va être si surpris et si content de vous voir !

Zenon n’avait pas pris le temps de dételer Rex, bien sûr, car déjà il entrait dans la maison, les bras chargés de divers parquets.

M. de L’Aigle ! dit-il, puis, ayant déposé les paquets sur la table, il tendit la main à leur visiteur.

— Vous êtes en bonne santé, M. Lassève, me dit Théo ?

— Oui, merci. Je savais que vous étiez ici, car j’ai vu votre équipage, près de la maison. Vous êtes le bienvenu !

— À mon tour de vous dire merci, M. Lassève, fit Claude.

— C’est bien aimable à vous de venir nous voir, en ce temps des « fêtes », M. de L’Aigle, dit Zenon. On a beau se dire que c’est une époque comme une autre, il me semble qu’on se sent plus isolé, quand on songe à ces réunions de familles et d’amis, un peu partout ; ne trouvez-vous pas ?

— Je suis exactement de votre opinion, M. Lassève, répondit Claude, et c’est pourquoi, en vue de demain, j’ai pensé que ce serait ridicule pour nous, isolés sur cette pointe, de passer le jour de l’an chacun chez soi. Qu’en pensez-vous vous-même ? Qu’en pense Théo ?

— Vous avez, sans doute, raison, M. de L’Aigle, et si vous aimez à accepter notre très humble hospitalité, nous vous l’offrons de grand cœur. La Hutte est… commença Zenon.

— Vous n’avez pas saisi mon idée, interrompit Claude. Je suis venu vous chercher, tous deux.

— Nous chercher ! s’écrièrent, en même temps Zenon et Magdalena.

— Mais, oui ! J’avais espéré que vous viendriez célébrer le jour de l’an, avec moi, à L’Aire, M. Lassève.

— Impossible ! fit Zenon. Merci, tout de même, pour votre invitation ; nous ne pouvons pas l’accepter cependant.

— Ô mon oncle ! s’exclama Magdalena, avec des larmes dans la voix.

— Eh ! bien, mon garçon ?

— Pourquoi refuser l’invitation de M. de L’Aigle, oncle Zenon ? Ce serait si charmant de passer le jour de l’an tous ensemble à L’Aire ! Les serres… La serre des roses… M. de L’Aigle vient de m’en parler. Ô mon oncle ! Dites oui, mon oncle !

— Mon cher enfant, répondit Zenon, qui prendrait soin de Rex, si nous partions ? Un cheval souffrirait à rester pendant toute une journée, sans boire ni manger.

— Rex ? dit Claude. Votre cheval, sans doute ? La question serait vite réglée, en ce qui le concerne. Retournons à L’Aire avec deux voitures. Il y a amplement place dans mes écuries pour votre cheval, et dans mes remises pour votre cariole. Allons ! Qu’en dites-vous, M. Lassève ?

Si Zenon eut eu le choix, il eut de beaucoup préféré passer le lendemain tranquillement chez lui, avec Magdalena ; mais il ne pouvait refuser l’invitation de Claude sans faire de la peine à la jeune fille, il le savait bien.

— Nous acceptons votre aimable invitation, avec grand plaisir, répondit-il. Nous sommes prêts à partir, quand vous le désirerez, M. de L’Aigle.

— Alors, puisque vous le voulez bien, M. Lassève, nous partirons le plus tôt possible, proposa Claude. Le chemin, d’ici à L’Aire, n’est pas entretenu par le gouvernement, comme vous le savez, ajouta-t-il en riant. Il faut aller lentement, si nous voulons cheminer sûrement. Il est déjà trois heures et demie d’ailleurs, et l’obscurité tombe vite et de bonne heure à cette saison. Vous n’avez pas dételé votre cheval, n’est-ce pas ?

— Non, répondit Zenon.

— Mais vous allez prendre une tasse de café avant de partir, M. de L’Aigle ? demanda Magdalena.

Une tasse de café !… Il se rappela, en frissonnant, les tasses épaisses, les cuillères en plomb et il eut presqu’un haut-le-cœur le fastidieux M. de L’Aigle.

— Non, merci, mon petit ami, dit-il. Cela nous retarderait trop. Il vaut mieux que nous partions immédiatement.

— Vous avez oublié d’inclure Froufrou dans votre invitation, M. de L’Aigle, fit-elle en souriant et en désignant le chien qui, entendant prononcer son nom, se mit à aboyer et tourner sur lui-même. Froufrou est un chien bien élevé, vous savez, et puis, nous ne pouvons pas le laisser ici.

— Froufrou est le bienvenu, du moment qu’il fera bon ménage avec Diavolo, notre chat… ou plutôt le chat de Candide, notre cuisinière, répondit Claude, en riant.

— Diavolo ? C’est là le nom de votre chat ? Il est donc mauvais ? S’il allait arracher les yeux à mon chien !

— Diavolo porte ce nom parce qu’il est noir comme du charbon et que ses yeux ressemblent à des boules de feu, dans l’obscurité ; à part cela, Diavolo est le chat le plus paisible de l’univers, Théo, et je sais qu’il sera très poli pour Froufrou.

— Oh ! alors, tant mieux !

— Allons ! Partons ! Il est grand temps, je crois.

Aussitôt que les deux hommes furent sortis, Magdalena se hâta de placer dans une petite valise son costume brun, qu’elle n’avait mis que deux fois, et l’habit bleu marin de Zenon, dans lequel il paraissait si bien, puis, s’étant assurée que tout était à l’ordre, que le feu était éteint, ou à peu près, dans le poêle de la salle, elle sortit à son tour, Froufrou sur ses talons. Claude l’attendait à la porte de la maison.

— Venez, Théo, lui dit-il, en lui tendant la main.

Il la conduisit à sa propre voiture et lui dit d’y prendre place.

— Je ne puis pas accepter votre voiture, M. de L’Aigle, dit Magdalena ; je vais m’en aller avec mon oncle.

— Pardon, mon petit ami, mais c’est moi qui vais m’en aller avec M. Lassève. Nous avons mille choses à discuter ensemble, votre oncle et moi, d’ailleurs, vous savez.

— Faut-il que j’obéisse, encore cette fois ? demanda-t-elle en souriant.

— S’il vous plaît, Théo !

— Vous n’aimerez pas cela… notre cariole,