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le mystérieux monsieur de l’aigle

s’entendra bien avec ton oncle, j’en suis sûre ; quant à Théo, il y a assez de jeunesses ici pour qu’il ne s’ennuie pas. La maison est grande ; il y a place pour trois amis, crois-le. Si tu m’écris qu’ils t’accompagneront, j’en serai fort heureuse… nous le serons tous. »

— Quelle aimable dame que Mme Lefranc ! s’écria Zenon, lorsque Magdalena eut lu ce passage de la lettre de la tante de Séverin.

— N’est-ce pas, mon oncle que c’est bien gentil de sa part de nous inviter ainsi ?

— Gentil ? Tu as dit, Théo !

— C’est sincère, voyez-vous, fit Séverin. Vous feriez mieux de vous décider à venir à Lévis avec moi, vous et Théo, M. Lassève.

— Et qui prendrait soin de Rex, durant notre absence, Séverin ?

— Rex ?… Eh ! bien, Rex, nous le mettrons en pension quelque part.

— En pension ? Non ! Non ! Nous en serions inquiets ; vous le premier, Séverin. Cependant, si Théo aime à vous accompagner et vous tenez à l’emmener, je lui donne permission de partir.

Magdalena eut aimé infiniment aller à Lévis ; cela lui aurait procuré la chance aussi de visiter la ville de Québec, dont elle avait tant lu, tant entendu parler ; mais elle ne pouvait pas laisser son père adoptif seul, surtout durant le temps des « fêtes ».

Séverin, malgré le plaisir qu’il aurait eu à emmener « Théo » avec lui, comprit bien le sentiment auquel il obéissait, en refusant de l’accompagner et il n’insista pas.

— Une autre fois, dit Magdalena. L’année prochaine peut-être, n’est-ce pas, mon oncle ?

— Peut-être… Dans tous les cas, nous sommes fort reconnaissants envers Mme Lefranc pour sa gracieuse invitation, Séverin. Vous le lui direz, s’il vous plaît.

— Vous allez partir l’avant-veille de Noël, avez-vous dit, Séverin ? demanda Magdalena ? Mais, quand reviendrez-vous ?

— Le surlendemain des Rois, sans y manquer, mon garçon.

Il partit donc, le 23 décembre. Zenon et Magdalena allèrent le mener en cariole, jusqu’à la Rivière-du-Loup, ne revenant à la Pointe Saint-André que le lendemain, après le départ du train.

Magdalena ne put s’empêcher de soupirer, lorsqu’ils furent de retour à La Hutte. Ils seraient bien seuls, bien isolés, elle et son père adoptif, durant cette époque de réjouissance dans les familles, et attristante était la perspective de ce temps des « fêtes » sur la Pointe Saint-André !

XI

DE « LA HUTTE » À « L’AIRE »

C’était la veille du Jour de l’An, dans l’après-midi.

Magdalena était seule dans La Hutte. Zenon était allé au village, acheter des provisions ; il s’agissait de différentes choses, telles que raisins, épices, mélasse, etc., dont la jeune fille avait besoin pour un gâteau qu’elle voulait faire, pour le lendemain.

En attendant le retour de Zenon, qui ne pouvait tarder maintenant, elle se dit qu’elle ferait des beignes. Oui, elle avait tous les ingrédients qu’il fallait : lait, sucre, beurre, œufs, farine, etc.

Se recouvrant d’un long tablier, elle déposa sur la table ce qu’il lui fallait et elle se disposait à casser des œufs, lorsqu’elle entendit un bruit de grelots. Elle ne pouvait voir ce qui se passait dehors, les vitres étant gelées ; mais elle se dit :

— Voilà déjà mon oncle qui revient du village. Il m’avait dit, aussi, qu’il ne ferait qu’aller et revenir. C’est qu’il sait que j’attends après ce qu’il va m’apporter. Cher oncle Zenon ! Je vais le féliciter d’avoir été si prompt.

On frappait à la porte de La Hutte.

— Entrez, mon oncle ! cria Magdalena. Tiens ! se dit-elle ensuite, la porte est fermée à clef et mon oncle le sait bien, puisque c’est lui qui m’a recommandé de prendre cette précaution, lorsque je suis seule dans la maison.

Elle courut ouvrir, et elle se trouva en face de… Claude de L’Aigle.

M. de L’Aigle !… balbutia-t-elle.

— Théo, mon petit ami ! répondit Claude.

M. de L’Aigle !… répéta-t-elle. Puis, s’apercevant soudain qu’elle manquait à toutes les règles de l’hospitalité, elle ajouta : Entrez, je vous prie. Vous êtes le bienvenu !

Ça va bien ici ? demanda-t-il, lorsqu’il se fut assis sur le siège que la jeune fille lui avait offert et qu’elle eut pris place en face de lui.

— Merci, M. de L’Aigle, oui, ça va bien. Mon oncle est allé au village, mais il ne tardera pas à revenir. Oh ! excusez-moi, ajouta-t-elle, en rougissant et enlevant prestement son tablier. J’étais en frais de confectionner des desserts, pour demain.

— Comment avez-vous passé le jour de Noël, Théo ?

— Assez bien, répondit-elle. Nous étions seuls, mon oncle et moi ; Séverin est allé à Lévis y passer le temps des fêtes.

— Séverin ?…

M. Séverin Rocque, expliqua Magdalena. Il demeure avec nous maintenant et nous l’aimons beaucoup, mon oncle et moi ; il est si bon, si dévoué !

— Et faites-vous encore des croix et des couronnes de fleurs cirées, mon petit ami ?

— Oui, M. de L’Aigle. Je travaille pour l’entrepreneur de la Rivière-du-Loup presque continuellement, depuis quelque temps.

— Ah ! À propos de fleurs, je vous dis que les serres de L’Aire regorgent littéralement de fleurs, de ce temps-ci. Les roses surtout… on dirait qu’elles se sont donné le mot pour fleurir toutes, à l’occasion des fêtes.

— Que ça doit être beau ! soupira la jeune fille qui, les yeux grands, la bouche entr’ouverte, écoutait parler Claude.

— Si vous voyez les roses de nuance saumon ! Il y en a des masses !

Elle porta la main à son cœur. Que ce devait être splendide toutes ces roses, et que M. de L’Aigle était bon de les lui décrire ainsi !

— Ah ! Voilà mon oncle ! s’écria-t-elle, enten-