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le mystérieux monsieur de l’aigle

d’œuvre ; ensuite, nous souperons. N’est-ce pas que c’est un joli programme, Théo ?

— Oui. C’est un joli programme, et je vous félicite de l’avoir organisé !

La préparation du souper ne fut pas laissée à Magdalena seule, car, tandis que Zenon plantait les derniers clous, dans son atelier, Séverin pelait les patates, battait les œufs, et se rendait utile de diverses manières. De plus, le brave garçon avait apporté, de Saint-André, ce matin-là, une chopine de crème, qu’il avait promis de fouetter lui-même ; cette crème fouettée accompagnée de petits gâteaux, dont la jeune fille avait le secret, ce serait un dessert si succulent que l’eau en venait à la bouche de Séverin, rien que d’y penser.

Six heures moins le quart…

Le programme, tracé, la veille, par Zenon, serait suivit à la lettre.

Comme il avait été convenu, Magdalena se mit au piano et joua une marche entraînante, dont Zenon et Séverin, sans même s’en rendre compte, battaient la mesure sur le plancher avec leurs pieds.

Six heures moins cinq minutes…

Magdalena s’avança près de la porte de la nouvelle aile, en compagnie des deux hommes, et Zenon lui remit une petite clef.

— Oh ! La belle clef d’or ! s’écria-t-elle.

Elle est en cuivre, mais polie au point de ressembler à de l’or. C’est à toi que revient l’honneur d’ouvrir la porte, Théo, répondit Zenon.

Elle mit la clef dans la serrure… et la porte s’ouvrit…

Une exclamation d’étonnement et de joie s’échappa de ses lèvres, car, au lieu de l’atelier qu’elle s’était attendue à voir, elle venait de découvrir que la nouvelle aile était une coquette chambre à coucher. Le lit, fixe, était recouvert de draps bien blancs et de couvertures ; d’oreillers, encaissées dans des taies d’oreillers aux fines broderies, et qui avaient appartenu à cette pauvre Mme Rocques. Un petit chiffonnier servait de support à un set à toilette, acheté avec les économies de Séverin. En face du lit était un foyer fait de cailloux de différentes couleurs formes et grosseurs, cimentées ensemble. Le foyer était grand, et on pouvait y faire une bonne flambée ; pour le moment, un feu clair y brûlait. Au dessus du foyer et allant jusqu’au plafond étaient des tablettes contenant des livres ; la modeste bibliothèque de Mme Rocques. Les murs et le plafond étaient peinturés de blanc, ce qui faisait que la pièce, quoique toute petite, paraissait assez grande. Deux larges fenêtres laissaient pénétrer l’air et le soleil ; mais, ce soir, la chambre était éclairée au moyen d’une lampe sous un dôme en porcelaine, suspendue au plafond.

— Mon oncle !… Séverin !… C’est tout ce que put dire Magdalena.

Comment aimes-tu mon atelier, Théo, hein ? demanda Zenon dont la voix tremblait légèrement, car il se sentait très ému de l’émotion et la joie de sa fille adoptive.

— C’est la plus grande et la plus belle surprise que j’aie eu de ma vie !…

— J’aurais bien voulu que ce soit prêt pour l’anniversaire de ta naissance, c’est-à-dire au commencement de ce mois, tu sais, Théo ; mais je m’y suis pris trop tard.

— Maintenant, tu comprends pourquoi nous tenions à garder le secret, n’est-ce pas ? fit Séverin, qui, assurément, n’était pas beaucoup moins ému que Zenon.

— Oui, je le comprends… Mais, comment vous remercier…

— Puisses-tu passer des heures agréables dans ta nouvelle chambre, Théo, dit Séverin et n’y faire que des rêves d’or !

Magdalena pleurait franchement. Elle entourait de ses bras le cou de ses deux amis.

— Braves cœurs ! pleurait-elle. Elle est si jolie, si coquette cette chambre à coucher !… Puis, les couvertures du lit ; les taies d’oreillers, les livres… Je sais d’où viennent toutes ces belles choses, Séverin ! Merci, à tous deux ! Oh ! des milliers de fois merci !

Ce fut donc un grand succès que l’inauguration de la nouvelle aile, car le repas fut jugé excellent.

Après le souper, les deux hommes donnèrent congé à Magdalena, et c’est eux qui lavèrent la vaisselle, balayèrent le plancher, et remirent tout à l’ordre, car ils savaient bien que la jeune fille aimerait à se faire, tout de suite, une petite installation dans sa chambre à coucher.

Enfin, tous trois s’assirent autour de la table et Zenon se mit à mêler un jeu de cartes, car on se disposait à jouer à la bataille ensemble. Mais voilà que Séverin, au lieu de « couper », lorsque Zenon lui présenta les cartes, fit un geste de refus et dit :

— Tout à l’heure, M. Lassève, voulez-vous ?… Mes amis, ajouta-t-il, veuillez m’écouter pendant quelques instants… J’ai quelque chose à vous dire… ou plutôt, à vous proposer.

— Nous vous écoutons, Séverin, répondit Zenon Lassève.

X

ATTRISTANTE PERSPECTIVE

Nous allons dire, en quelques mots, ce que Séverin avait à proposer : c’était qu’on l’admit à La Hutte, pour y passer l’hiver ; pour y passer peut-être même le reste de ses jours.

Depuis la mort de sa mère, il avait quitté la maison qu’ils avaient habitée ensemble, puis il avait loué deux pièces, chez des gens du nom de Charmeuse. L’une de ces pièces lui servait d’atelier ; l’autre, de chambre à coucher. Quant à ses repas, il les prenait chez les Charmeuse, gens qui ne lui étaient aucunement sympathiques.

À La Hutte… eh ! bien, ce serait l’idéal. Lui et Zenon travailleraient ensemble. Leur métiers se complétaient l’un l’autre : Zenon étant bon menuisier, Séverin étant sculpteur de bois ; à deux, ils pourraient gagner gros, du moins, durant les mois d’hiver, quitte à reprendre la pêche, lorsqu’arriverait l’été, s’ils le désiraient. Mais, le point le plus important dans tout cela, c’était la réelle amitié qui liait les deux hommes et leur profonde affection, à tous deux, pour Théo… qui le leur rendait bien.