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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Du moment que vous serez là, tout près, Séverin… Je sais que je puis me fier à vous.

Le lendemain matin, à dix heures, on partait pour la Rivière-du-Loup.

Mais, d’abord, il y avait eu des exclamations d’admiration, de la part de Zenon et de Magdalena, en apercevant Rex, un grand cheval gris-pommelé, doux comme un agneau, habitué au monde et essayant de leur prouver de l’amitié par des hochements de tête, des hennissements en sourdine, lorsqu’on le flattait, ou qu’on avait l’air seulement de s’occuper de lui.

Magdalena n’avait jamais touché à un cheval de sa vie, et elle était quelque peu timide ; elle eut vraiment peur même, lorsque Rex s’approcha d’elle et posa sa grande tête sur son épaule. Zenon qui, lui non plus, n’était pas habitué aux chevaux, ne put s’empêcher de crier.

— Théo ! Séverin ! Le cheval !

— Ne craignez rien, M. Lassève, dit Séverin. Il n’y a aucun danger, Théo, ajouta-t-il. Rex te fait tout simplement des façons, pensant que tu as peut-être une pomme ou un morceaux de sucre à lui donner.

— Je lui ai apporté deux pommes et un morceau de sucre, Séverin.

— Alors, crois-le, mon garçon, il le sait, rit Séverin. Donne-lui une pomme, Théo et, encore une fois, ne crains rien.

Mais Magdalena présenta la pomme à Séverin, en lui disant :

— Donnez-la lui, vous ; moi, j’ai peur.

— Peur ? Peur de Rex ? Allons ! Donne-lui la pomme, dans ta main, Théo !

Elle obéit, quoique timidement. Soudain pourtant, elle fit un léger cri ; on eut pu voir pâlir Zenon.

— Qu’y a-t-il, Théo ? demanda-t-il. Le cheval t’a-t-il mordu ?

— Non… Je ne le crois pas… J’ai senti ses lèvres sur mes doigts… J’ai eu bien peur…

— C’est parce que tu ne sais pas présenter quelque chose à un cheval, dit Séverin. Tu as dû prendre la pomme dans tes doigts et l’offrir ainsi à Rex.

— Mais, oui !

— Ce n’est pas ainsi qu’il faut faire ; tu risquais de te faire mordre accidentellement. Rex, ne te mordrait pas volontairement pour toute… l’avoine de la province, tu sais, mon garçon, fit Séverin, en riant ; mais en voulant saisir la pomme, tout à l’heure, il aurait pu te saisir, en même temps, les doigts, sans le faire exprès. Tiens, reprit-il, regarde comment je m’y prends, moi.

Il retira une pomme de la poche de son pardessus et la tendit à Rex.

— Vois-tu, expliqua-t-il à Magdalena, je mets la pomme dans la paume de ma main, sans y toucher avec mes doigts ; de cette manière, le cheval prend le fruit gentiment avec ses lèvres, et il n’y a aucun danger. Offre-lui en une de cette manière maintenant, Théo.

— Séverin, intervint Zenon, peut-être serait-il préférable que…

— Allons, allons, M. Lassève ! Il faut que l’enfant s’habitue aux chevaux, puisque vous vous proposez d’en garder un, vous-même.

— Je n’ai pas peur, Séverin, fit Magdalena.

— Il ne faut pas avoir peur des chevaux, non plus, Théo ; ils sont parfaitement inoffensifs, lorsqu’ils sont bien traités.

L’offre de la pomme à Rex, ce fut un succès, et aussi l’offre d’un morceau de sucre.

— Chère belle bête ! s’écria Magdalena, en flattant le cheval. Combien vous devez l’aimer, Séverin !

— Je ne me déferais pas de Rex pour tous les biens de ce monde, sache-le, mon petit.

— Je le crois sans peine ! dit Zenon.

Magdalena s’installa sur le premier siège de la voiture, et Séverin s’assit à côté d’elle, afin d’être prêt à s’emparer des rubans, quand nécessité il y aurait.

— Je ferais bien peut-être de faire mon acte de contrition, avant de partir, Théo, dit Zenon, en riant. Puisque c’est toi qui mènes…

— Ô mon oncle ! rit la jeune fille, à son tour. Tenez, ajouta-t-elle, je vous confie Froufrou ; il serait de trop sur notre siège et il me nuirait… Et maintenant, tenez-vous bien, oncle Zenon ; nous allons partir

— Pour tous les péchés de ma vie, pardon, Seigneur, pardon ! dit Zenon d’un air si comique que Magdalena et Séverin rirent d’un grand cœur.

— Marche, Rex ! Beau cheval, marche !

Elle était au comble de ses joies la chère enfant. Que c’était agréable de conduire une aussi excellente bête que Rex ! Séverin l’avait bien dit ; on eut pu le conduire avec un fil.

Cependant, il y eut des rencontres à faire et Séverin dut prendre les rubans des mains de la jeune conductrice.

— Vois-tu, lui dit-il, ça demande un peu de pratique pour les rencontres. Il est vrai que Rex se jette de côté, de lui-même ; mais il faut pouvoir juger de l’espace et de la distance, sans quoi on irait se jeter dans quelque fossé.

On arrivait au Portage, lorsque Séverin aperçut, venant à leur rencontre, un fringuant équipage : deux chevaux, noirs comme la nuit, dont l’attelage, aux ornements d’argent, luisaient au soleil ; ces chevaux étaient attelés à une luxueuse berline. En un clin d’œil, le riche équipage eut croisé la modeste voiture contenant nos trois amis. Heureusement, Séverin avait saisi les rubans, car Magdalena venait d’avoir une grande surprise : la berline contenait un homme, et cet homme c’était Claude de L’Aigle.

— Tiens ! C’est M. de L’Aigle, qui vient de nous croiser ! s’écria Zenon. L’as-tu reconnu, Théo ?

— Oui. Il ne nous a pas vus cependant ; il était à lire, je crois, ou à consulter des notes. Mais j’ai reconnu M. de L’Aigle ; j’ai aussi reconnu Eusèbe, qui conduisait les chevaux.

— Ah ! C’est là l’équipage de ce mystérieux M. de L’Aigle ! fit Sévevrin. J’ai vu cet équipage souvent… M. de L’Aigle aussi, je l’ai vu déjà, sans savoir qui il était, naturellement.

— Alors, M. de L’Aigle est connu, au village