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le mystérieux monsieur de l’aigle

qu’elle venait de lui faire ; la première, il crut que la conversation entre Claude et Magdalena avait eu lieu dans le salon, en la présence de tous ; la seconde, qu’ils n’avaient échangé que quelques paroles.

— Imaginez-vous, oncle Zenon, reprit la jeune fille, que M. de L’Aigle m’a demandé si nous lui rendrions un service…

— Un service ? Nous ! À M. de L’Aigle !

— Voilà précisément ce que je lui ai répondu, rit-elle.

— Eh ! bien, cher enfant, dit Zenon, si réellement nous pouvons lui rendre service, nous n’hésiterons certainement pas ; il nous en a rendu un fameux, lui, la fois qu’il nous a secourus !… Ce service, quel est-il ?

— Il m’a demandé si nous lui permettrions de faire transporter ici le piano de L’Aiglon, pour la saison d’hiver.

— Ah ! Bah ! s’exclama Zenon. Il ne s’agit pas…

— Je sais, mon oncle ! J’ai dit à M. de L’Aigle que ce service qu’il demandait de nous ne voilait qu’imparfaitement un acte de bonté de sa part…

— Et qu’a-t-il répondu à cela ?

— Il a ri, puis il a avoué franchement que c’était vrai ; mais il a ajouté que ce serait nous rendre mutuellement service que de lui permettre de faire transporter son piano ici.

— Et tu as accepté, n’est-ce pas ?

— Oui, j’ai accepté, en mon nom et au vôtre. Ai-je eu tort, mon oncle ?

— Mais non, Théo… Seulement, l’automne prochain, si l’été est aussi productif qu’il a été cette année, je t’achèterai un piano, et un beau ! En attendant, celui de L’Aiglon te distraira.

Si Magdalena n’eut été continuellement occupée, elle se fut ennuyée ferme ; elle se fut livrée à la tristesse et cela eut produit une catastrophe. Lorsqu’elle se sentait envahie par le spleen, elle ne manquait jamais de se dire que si elle et son père adoptif vivaient dans l’isolement, sur la Pointe Saint-André, c’était parcequ’elle l’avait voulu. Prise d’un irrésistible besoin de se dérober aux yeux de ceux qui l’avaient connue jadis, après sa… résurrection, elle avait jeté son dévolu sur cette masse de rochers, sur cette pointe où peu de gens venaient. Et aujourd’hui, elle serait triste, maussade ?… Ce serait prouver sa reconnaissance envers celui qui l’aimait comme un père, d’une singulière façon vraiment !

D’ailleurs, elle devait avoir bientôt un surcroit d’occupations, d’occupations agréables aussi, et cela, grâce à ce bon Séverin Rocques.

Un matin, il arriva à La Hutte ; c’était sa première visite, depuis le décès de sa mère.

— Ah ! Séverin ! s’écria Zenon Lassève, qui selon son habitude était à travailler à la construction de ses bâtiments.

— Je reviens, M. Lassève ! répondit Séverin, en se dirigeant vers la maison. J’ai affaire à Théo d’abord.

— Théo est là. Entrez tout droit, Séverin.

— Ô Séverin ! fit Magdalena, accourant au-devant de son visiteur. Quel plaisir de vous voir !

— Je suis venu de bonne heure, n’est-ce pas, Théo ? Et, plus que cela, j’ai l’intention de passer la journée ici et de ne retourner que tard cet après-midi… si vous voulez me garder, j’entends.

— Plus vous serez de temps avec nous, plus nous serons contents ; de cela vous ne sauriez douter, Séverin, répondit la jeune fille.

— Je te dirai bien, mon garçon, reprit Séverin, que j’ai spécialement affaire à toi. Voici : tu sais, la belle, belle croix de fleurs cirées que tu avais faite, lors du décès de ma mère ?… Eh ! bien, je l’ai mise sous un globe, que j’ai fait venir de la ville de Québec, car je veux la garder précieusement en ne pas l’exposer à la poussière. Maintenant, il faut que je t’apprenne que ce pauvre Benjamin Duval a perdu sa femme ; elle est morte hier, d’une congestion des poumons. Elle n’a été que six jours malade.

— Ah ! La pauvre femme !

— Duval m’a donc demandé, ce matin, si tu lui ferais une croix de fleurs cirées pour déposer sur le cercueil de sa femme.

— Bien sûr que j’en ferai une, Séverin ! Ce bon M. Duval.

— Je la lui apporterai ce soir. Et voici pour te payer, dit Séverin, en déposant trois dollars sur la table.

— Non ! Non, Séverin ! Je ferai la croix, avec plaisir et pour rien.

— Écoute, Théo, Duval est capable de payer. Je lui ai demandé trois dollars et il a trouvé que ce n’était pas trop cher.

Magdalena hésita quelques instants, puis elle dit :

— Si j’accepte cet argent, c’est parce que j’aimerais à acheter différentes choses dont j’aurais bien besoin pour ce travail des croix de fleurs. D’abord, il me faudrait du velours vert-mousse, comme j’en ai vu dans une vitrine, à la Rivière-du-Loup. Il me faudrait aussi de la broche très fine et de la ouate. Un de ces jours, lorsque vous irez à la Rivière-du-Loup, Séverin, voudriez-vous m’emmener avec vous ?… Ou bien, je demanderai de me faire certaines commissions, si vous voulez bien vous en charger ?

— Je m’en chargerai avec plaisir, tu le penses bien, mon garçon, ou bien, je t’emmènerai avec moi, ce qui sera de beaucoup préférable.

Ce soir-là, lorsque Séverin retourna au village, il apportait, avec grand soin, la croix mortuaire, pour Benjamin Duval, et celui-ci ne manqua pas d’admirer le travail fait par « le petit pêcheur », et de la faire admirer par ses amis.

Quelques jours plus tard, Séverin revenait à La Hutte, portant un paquet sous chaque bras.

— Théo, dit-il, en déposant l’un des paquets sur la table, je t’ai apporté du carton ; je sais que tu en as toujours besoin. Ce sont des boîtes qui appartenaient à ma mère. J’espère que le carton te sera utile ?

— Utile ? Certes, oui ! Et merci, mon bon Séverin ! répondit Magdalena. Vous pensez à tout, vraiment !

— Et puis, reprit le brave garçon, en hésitant un peu, comme s’il n’eut pas été tout à fait certain de la réception qui serait faite à l’autre paquet, j’ai eu affaire à la Rivière-du-