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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Au contraire, je la signerais… Vous n’aurez qu’à me présenter votre pétition, Miss Grant, ajouta-t-elle ; je vous donnerai ma signature.

— Merci, Helen, my dear ! répondit Miss Grant.

— Mon oncle n’est pas pour cela, lui… pour l’abolition de la peine de mort, je veux dire, reprit Hélène, en souriant à M. Mance.

— Non Hélène, je ne suis pas pour l’abolition de la peine de mort, tu l’as deviné, et moi aussi, je trouve que celui qui a tué mérite de mourir.

— Qu’en pense M. de L’Aigle ? questionna Hélène, en s’adressant à Claude, que cette conversation paraissait beaucoup ennuyer, ou déplaire.

— Ma foi, je n’en pense trop rien…

— Oh ! Sûrement, M. de L’Aigle, s’écria l’impulsive Hélène, vous êtes contre la peine de mort, j’en suis certaine !

Claude haussa les épaules, puis il répondit :

— Je le répète, je ne sais trop… Mais, Mlle Guérin, je crois fermement que si la peine de mort était abolie, il ne ferait pas bon pour aucun de nous de nous promener, après le soleil couché, sans être armé jusqu’aux dents. Les gens aux instincts meurtriers (et ils sont moins rares qu’on serait porté à le croire, parait-il) auraient beau jeu de nous assommer, et ils ne se gêneraient plus, s’ils n’avaient la crainte d’expier leur crime sur l’échafaud.

— Vous pensez cela, M. de L’Aigle ?

— Vous m’avez demandé mon opinion sur le sujet, Mlle Guérin ; je viens de vous la donner, répondit-il en s’inclinant.

— Hein ! Vous voyez, Miss Grant, ce qui pourrait vous arriver, à vous comme à nous, si vous parveniez à faire adopter votre pétition, dit M. Mance moitié riant, car il aimait, pardessus tout, à taquiner les gens.

— Cela ne pas changer les idées à moi, pas du tout ! assura Miss Grant.

— D’après M. de L’Aigle, pourtant…

— Oh ! Je vous prie, M. Mance, n’attachez pas trop d’importance à ce que je viens de dire ! fit Claude. J’ai dit ce que j’en pense ; voilà tout. Je crois réellement que, vous et moi, M. Mance ; que nous ici ce soir ; que les habitants de ce pays ; que tous, nous sommes en quelque sorte protégés par l’ombre sinistre de l’échafaud.

— Brrrrr ! fit Hélène, en frissonnant. Quelle conversation, pour un soir de bal !

— Parlons d’autre chose, de grâce ! s’écria Mme Mance.

— Je me demande comment il se fait que nous ayons abordé un sujet aussi lugubre ? dit quelqu’un.

— C’était à propos de cette Mme Rocques… commença Hélène.

Mais voilà que l’hôtelier entrait dans le salon, suivi de ses domestiques les bras chargés de plateaux ; on allait servir des rafraîchissements.

V

LE BAISER

Il serait difficile de définir les impressions ressenties par Magdalena, durant la conversation ci-haut.

« L’ombre de l’échafaud » avait dit M. de L’Aigle ! Elle, Magdalena Carlin, n’avait-elle pas été élevée, n’avait-elle pas grandi à l’ombre de l’échafaud ?… Et, puisqu’il en était ainsi ; puisqu’en réalité elle était la fille d’un pendu (quoiqu’innocent) qu’aurait-elle jamais de commun avec le fier, l’orgueilleux, l’aristocratique M. de L’Aigle… qu’elle aimait éperdument, depuis le jour où elle l’avait aperçu, sur L’Aiglon !

Oui, elle ne pouvait plus se le cacher à elle-même ; elle l’aimait ! Elle l’aimait follement ! Qu’importait la différence d’âge qui existait entr’eux ?… Elle l’aimait !… Elle avait été, elle n’en pouvait douter, réellement malheureuse, de ne l’avoir pas revu…

Sans doute, M. de L’Aigle la prenait pour un garçonnet : « Théo, mon petit ami »… Mais ne s’était-elle pas demandée, tout à l’heure, si elle ne ferait pas bien de se défaire de son déguisement ; se faire connaître sous son véritable nom (sous le nom de Magdalena Lassève, nous voulons dire, puisqu’elle était la fille de Zenon Lassève, par acte d’adoption). Elle s’était dit, aussi, qu’elle trouverait le moyen d’expliquer, d’une manière ou d’une autre, la raison de ses vêtements masculins, puis… puis…

Hélas ! La conversation qui venait d’avoir lieu lui faisait comprendre qu’il ne pouvait y avoir rien, non rien, pas même de l’amitié, entre la fille du pendu et le propriétaire de L’Aire. « L’ombre de l’échafaud » avait-il dit ; si elle protégeait quelques uns, cette ombre, elle assombrissait sa vie, à elle, elle l’avait toujours assombrie… Jamais elle ne devait rêver le bonheur ; l’ombre de l’échafaud l’en interdirait toujours.

— Vous ne partez pas, sûrement, M. de L’Aigle !

— Il le faut, Mlle Guérin. Je retourne à la Rivière-du-Loup, car j’ai quelques préparatifs à faire, en vue d’un voyage de quelques semaines ; je dois prendre le train demain matin.

— Ne partez pas sans prendre quelques rafraîchissements, au moins ! insista Mme Mance.

— Impossible, Mme Mance ! Cela me retarderait trop.

Il partait !… Pourtant, ce serait mieux ainsi, se dit Magdalena. De le savoir leur voisin et ne jamais le voir… N’était-ce pas préférable qu’elle se dit qu’il était absent de chez lui, et pour longtemps ?… Mais il allait partir !… Pauvre Magdalena ! Pauvre petite !… Cette fois, elle ne put retenir ses larmes ; elle sentit qu’elle allait sangloter.

Elle quitta précipitamment le salon, sans que personne… ou presque personne, ne fit attention à elle.

Elle arriva dans un corridor désert, à l’extrémité duquel était une porte ouvrant sur une véranda, ayant vue sur le fleuve. C’est là