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le mystérieux monsieur de l’aigle

de Claude, et rien que le son de cette voix donna à Magdalena une grande envie de pleurer, sans qu’elle comprît pourquoi.

— Et vous avez été tenté de l’accepter, notre invitation, n’est-ce pas, M. de L’Aigle ? demanda Hélène.

— Je n’ai pu résister à la tentation, comme vous voyez, répliqua Claude en s’inclinant devant la jeune fille.

Magdalena ne se retourna pas sur son siège ; elle regardait fixement dans le miroir, voilà tout. M. de L’Aigle, se disait-elle, avait dû reconnaître le petit pêcheur Théo, celui dont il avait sauvé la vie, il n’y avait pas si longtemps, celui qu’il avait recueilli, avec son oncle, à bord de son yacht L’Aiglon. Cependant… Deux fois, leurs yeux, à tous deux, s’étaient rencontrés, dans la glace ; malgré elle, quoiqu’elle essayât de s’en empêcher, elle avait rougi timidement, chaque fois.

Mais un autre quadrille se formait et Claude de L’Aigle allait le danser avec Hélène Guérin.

Ce quadrille parut interminable à Magdalena. Dans le miroir, elle voyait Claude causer et rire avec sa compagne. Souvent même, il se penchait sur Hélène, comme pour entendre mieux ce qu’elle lui disait, et alors, ô ciel ! comme Magdalena se sentait triste tout à coup ! Que la vie lui paraissait terne, inutile, vide ! Pour la première fois, depuis qu’elle était à la Pointe Saint-André, notre héroïne envia le sort des jeunes fille plus fortunées qu’elle ; de celles qui n’étaient pas dans l’obligation de se déguiser sous des vêtements masculins. Elle se disait que, si elle eut été vêtue comme c’était son droit… son devoir peut-être de l’être, M. de L’Aigle se serait cru obligé, en quelque sorte, par simple courtoisie, de venir la saluer, de lui adresser la parole, s’informer de sa santé et lui dire quelqu’aimable chose… Mais au petit pêcheur à la ligne, au simple batelier, au musicien, payé pour faire danser, qu’aurait bien pu dire l’aristocratique M. de L’Aigle ?… Zenon Lassève avait-il eu le pressentiment de ce qui se passerait, ce soir, dans le salon de l’hôtel, lorsqu’il avait demandé à « Théo », un jour, s’il ne regretterait jamais d’avoir endossé l’habit masculin ?…

Le cœur lui faisait bien mal à ce moment, la pauvre enfant… Allait-elle pleurer, là, dans ce salon, devant M. de L’Aigle, devant tout ce monde ?… Non ! Non ! Il ne fallait pas !

Mais, ce fut incontrôlable ; bientôt, des larmes s’échappèrent de ses yeux et vinrent tomber sur le clavier du piano… Heureusement, personne ne faisait attention à elle… Personne ne prenait la peine de l’observer… Personne ?… Ses yeux venaient de rencontrer ceux de Claude… Avait-elle réellement vu de la sympathie dans son regard ?… Un moment, elle le crut ; mais il se penchait de nouveau sur Hélène, dont la conversation paraissait l’intéresser au plus haut point.

Enfin, le quadrille prit fin. Ce serait bientôt l’heure du goûter ; en attendant, on se mit à causer. Magdalena, tout en feuilletant de la musique, prêtait l’oreille à ce qui se disait.

— Ainsi, Mme Mance, disait Claude de L’Aigle, en s’adressant à la tante d’Hélène, vous vous proposez de quitter ces parages lundi ?

— Il le faut, hélas ! répondit l’interpellée.

— Le Portage se dépeuple, lentement, mais sûrement, reprit Claude. Déjà, presque tous les fournils sont fermés…

— Savez-vous, M. de L’Aigle, dit Hélène, en riant, je ne comprends pas très bien pourquoi on appelle ces petites cabanes à côté des maisons de ce village ; des fournils ? Si l’on consulte son Larousse, on y lit que fournil est « un lieu où est le four et où l’on pétrit la pâte ». Or……

— Il serait difficile, je crois, de trouver la véritable signification du mot, en ce qui concerne ces petites cabanes à côté des grandes maisons ; probablement que jadis, elles servaient véritablement de lieu où l’on pétrissait et faisait cuire la pâte… Aujourd’hui, les fournils servent de demeure aux habitants du Portage, durant l’été. Ils louent, à un joli prix, leur demeure, durant la belle saison, et se retirent dans leurs fournils. L’automne venu, ils ont un bon magot mis de côté, pour leurs dépenses de l’hiver, expliqua Claude à la jeune fille.

— Si vous saviez comme il m’en coûte de retourner à la ville, M. de L’Aigle ! fit Mme Mance. Depuis que je suis ici, je me suis débarrassée complètement de ces maux de tête qui me font tant souffrir.

— C’est un lieu de santé que le Portage et ses environs, dit une autre dame. Il y a rarement de funérailles par ici, dit-on.

— Il y en a eu, des funérailles, ce matin même, à Saint-André, non loin d’ici cependant, répliqua, en souriant, Mme Mance.

— Ah ! oui ! Cette Mme Rocques ! dit une autre personne présente. Elle est décédée subitement, paraît-il, et c’est assez tragique.

— Tragique ? Pourquoi ? demandèrent plusieurs personnes.

— N’est-ce pas toujours tragique une mort subite ? fit Mme Mance. Et puis cette pauvre femme est morte d’avoir appris soudainement que le meurtrier de son fils allait expier son crime sur l’échafaud, dans quelques jours.

— Ah ! Bah ! s’écria l’un des hommes présents. Il me semble que Mme Rocques aurait dû se réjouir plutôt, à cette nouvelle.

— Oh ! Shocking ! Shocking ! s’exclama l’une de nos connaissances, Miss Grant. Vous parlez étrange, very étrange, Monsieur ! Moi, you know, je faire circuler un pétition, for abolir le peine de mort.

— Vraiment ? fit l’interpellé. Eh ! bien, Miss Grant, chacun de nous a droit à ses idées ; moi, je trouve que celui qui a assassiné son prochain a mérité la mort ; voilà !

— Oh ! Shocking ! Shocking ! répéta la vieille demoiselle en se couvrant le visage de ses deux mains.

— Je la signerai votre pétition, moi, Miss Grant ! fit Mme Mance. S’il y a une chose horrible, atroce, c’est la pendaison !

— Mieux vaut l’échafaud que la guillotine cependant, dit Hélène Guérin. J’ai vu une gravure, il y a quelque temps…

— Vous ne signeriez pas la pétition de Miss Grant, Mlle Guérin ? demanda l’une des dames présentes.