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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Il est… Dieu sait où, dans le moment, acheva Hélène, non sans quelque dépit dans la voix.

— Et au grand désespoir de bien des jeunes filles de mes connaissances, rit M. Mance, taquin.

— J’espère, mon oncle, que quand vous parlez de « certaines jeunes filles » vous ne faites pas allusion à moi ! dit Hélène, rougissant malgré elle.

— Si la coiffure te fait, ma bonne… commença M. Mance, M. de L’Aigle est très populaire parmi les dames, je sais.

— Mon cher, fit Mme Mance, laisse donc Hélène tranquille ! On n’est pas toujours disposé à entendre à rire, tu sais. Dans tous les cas, reprit-elle M. de L’Aigle n’est toujours pas à l’hôtel de la Rivière-du-Loup, puisque nous avons essayé de le voir, afin de l’inviter au bal de ce soir.

Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de suivre les agissements du mystérieux M. de L’Aigle, je crois, rit Hélène.

— « Le mystérieux M. de L’Aigle » dis-tu, Hélène ? demanda Mme Mance. Je t’en prie, ma chère ! Où as-tu pris cela ? Je ne vois rien de mystérieux dans les agissements de ce monsieur, moi.

— Je disais cela pour badiner, chère tante, fit la repentante Hélène. Voyez-vous, reprit-elle, personne ne sait au juste, où demeure M. de L’Aigle, quelles sont ses occupations, etc. etc.

— Ce ne sont pas les affaires de qui que ce soit, non plus, que je sache, réprimanda Mme Mance. Tout le monde sait que M. de L’Aigle demeure, de préférence, à la Rivière-du-Loup… Quant à ses occupations, je crois qu’elles sont nulles ; M. de L’Aigle est un rentier, un riche rentier, tout simplement.

— Tout de même, je le trouve… étrange, parfois, moi, M. de L’Aigle, ma tante !

— Ma chère Hélène, répondit la bonne dame, légèrement scandalisée, j’espère que tu ne te mettras pas à répéter les commérages de Miss Grant et de ses compagnes anglaises, à propos de M. de L’Aigle… ou à propos de qui que ce soit ? Ce monsieur que nous nous permettons de discuter, dans le moment, est aimable, charmant, parfait de manières et…

— Je ne vous contredirai pas, chère tante, répondit Hélène. Pour ma part, tout ce que j’ai à reprocher à M. de L’Aigle, c’est d’aimer trop à se faire désirer… S’il acceptait plus souvent les invitations qui lui sont faites, ou s’il prenait la peine de nous rendre visite, de temps à autre, comme font les autres messieurs de nos connaissances, je serais porté à dire, tout comme vous, que M. de L’Aigle est parfait.

Magdalena n’en écouta pas davantage. Elle se dirigea vers La Hutte, et bientôt elle préparait du café pour leurs visiteurs.

— « Le mystérieux M. de L’Aigle »… se disait-elle, tout en versant le café dans les tasses. Que c’est ridicule ces commérages qui se font parmi les oisifs de ce monde ! Mystérieux ?… Pas du tout ! Il est aimable, bon, charmant, d’une courtoisie exquise… Mystérieux ? Non ! Non ! Certes, non !

Mais ces paroles d’Hélène Guérin lui reviendraient à la mémoire un jour… un jour où elle serait en proie à des angoisses telles que l’imagination la plus extravagante n’en pourrait inventer de pires.

IV

LE BAL ET SES INCIDENTS

Il était quatre heures de l’après-midi, lorsqu’on partit pour le Portage. Le temps étant idéal, la promenade en voiture, ce fut un véritable rêve pour Magdalena et Zenon.

À l’hôtel, deux chambres confortables furent mises à la disposition de nos amis. L’hôtelier pouvait disposer facilement de ces pièces, vu que, déjà, plusieurs de ses pensionnaires de l’été étaient retournés dans leurs quartiers d’hiver.

À huit heures, le bal commença. C’était au temps des danses simples, peu compliquées, très-correctes, telles que le lancier, le quadrille ; voire même, parfois, le menuet-valse.

C’est un lancier qui ouvrit le bal, ce soir-là, à l’hôtel du Portage, et il fut suivi de bien d’autres. En face du piano était un grand miroir, et la jeune musicienne pouvait ainsi suivre les évolutions des danseurs, ce qui l’intéressait et l’empêchait, en quelque sorte, de sentir sa fatigue. Car quoiqu’elle aimât la musique à la folie, elle avait les doigts bien fatigués, lorsque, vers les neuf heures et demie, on résolut de se reposer. Un petit programme vocal et instrumental fut alors exécuté, programme auquel Magdalena dut contribuer sa part en jouant deux morceaux de mandoline, avec Hélène Guérin au piano, comme accompagnatrice. Elle dut chanter aussi, tout en s’accompagnant sur son instrument. Si le succès, les applaudissements font oublier les fatigues, reposent, en un mot, elle dut se considérer tout à fait reposée, car elle fut très-applaudie.

Le programme vocal et instrumental ayant prie fin, un quadrille se forma et la danse reprit de plus belle.

Soudain, Magdalena sentit ses doigts se raidir sur les notes du piano, et elle constata qu’elle venait de manquer à la mesure… C’est que, grâce au miroir qui lui faisait face, elle venait d’apercevoir, dans l’encadrement de la porte du salon, une figure qu’elle connaissait… ou, du moins, qu’elle n’avait pas oubliée… qu’elle n’oublierait probablement jamais… Cette taille bien découpée ; cette chevelure blonde ; ces yeux bleus très foncés ; cette moustache dorée… C’était Claude de L’Aigle ! Avait-il reconnu le petit musicien ? Elle le crut, tout d’abord ; mais elle n’en était pas certaine.

Une certaine excitation régna aussitôt, dans le salon, à l’apparition de M. de L’Aigle. Puis il y eut des exclamations de surprise et de bienvenue, des chuchotements, et le quadrille commencé resta inachevé.

M. de L’Aigle ! Quelle surprise ! fit une voix de femme.

— Que c’est aimable à vous de vous être rendu à notre invitation ! s’écria Hélène Guérin.

— J’ai trouvé votre invitation, à mon hôtel, cet après-midi, Mlle Guérin, répondit la voix