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le mystérieux monsieur de l’aigle

pieds de soi. Oui, ils étaient perdus sur le fleuve et ils ne savaient plus par où se diriger.

Ah ! La brume est une terrible chose ; silencieuse, sinistre, elle rampe vers vous, sans avertissement aucun. On le sait d’avance, lorsqu’un orage se prépare : le tonnerre gronde au loin ; de rapides éclairs sillonnent les nues. Même une tempête de vent a ses avertissements : la brise soupire et pleure, puis, si vous êtes sur l’eau, sa surface se ride soudain, de petites vagues se forment ; votre embarcation se met à danser sur les flots. Alors, vous savez que la tempête n’est pas loin et vous prenez des précautions en conséquence.

Mais la brume !… Elle vient de l’on ne sait où ; elle s’avance lentement, mais sûrement et sans bruit ; elle rampe vers vous, sans que vous vous en doutiez même, et tout à coup, vous êtes enveloppé dans ses replis blancs et humides.

Zenon Lassève savait ces choses et c’est pourquoi il se sentait, en ce moment, envahi par le plus profond des découragements.

— Mon Dieu ! Que faire ? balbutia-t-il.

— Mon oncle, dit Magdalena, il faut nous diriger tout droit sur le Portage. Il n’y a qu’à traverser le fleuve, en fin de compte, et nous ne pouvons pas manquer d’atterrir.

— Tu crois ? fit Zenon d’un ton où perçait le doute.

— J’en suis sûre !

— Eh ! bien, voilà !

Il fit virer la chaloupe de bord, dans l’intention de piquer droit sur le Portage.

Un choc. Le bruit de quelque chose qui se déchire, et La Mouette fut rejetée en arrière avec force, à une distance d’une douzaine de pieds peut-être.

— Ciel ! Nous venons de frapper un rocher quelconque ! s’écria Zenon, et notre chaloupe…

— Un rocher, mon oncle ? Alors, s’il y a là un rocher, il faut essayer de l’atteindre et y débarquer, ne pensez-vous pas ?

— Si nous le pouvons…

— Nous le pouvons, je crois, et il est préférable d’avoir un rocher sous ses pieds plutôt que je ne sais combien de brasses d’eau.

— Tu as raison, Théo. Je vais essayer de retrouver ce rocher.

Zenon donna quelques coups d’avirons dans la direction opposée à celle qu’il allait prendre, tout d’abord ; il essaya, à l’aide de l’un des avirons, de localiser le rocher contre lequel La Mouette venait de se heurter… Inutilement… D’ailleurs, rien de plus facile que de se tromper de direction au milieu de la brume.

Tout à coup, Magdalena s’écria :

— Mon oncle ! Mon oncle ! Il y a de l’eau dans la chaloupe !

— De l’eau ? Alors, que Dieu ait pitié de nous, car nous sommes bien perdus, cette fois !

La Mouette, c’était évident, avait reçu une blessure, plus ou moins grave, en se heurtant contre le rocher, tout à l’heure, et, sans doute, elle allait couler à fond, entraînant avec elle ceux qu’elle contenait.

L’eau envahissait la chaloupe… lentement peut-être, mais sûrement…

— Vidons cette eau ! cria Zenon. Le bidon… il doit être près de toi, Théo. Vite ! Vite !

— Le voici le bidon, mon oncle !

Magdalena se mit à vider l’eau qui commençait à envahir la chaloupe ; mais l’eau gagnait sur elle. Bientôt, ils en auraient jusqu’à mi-jambes.

Zenon jeta par-dessus bord les poissons qu’ils avaient pris, et pour lesquels lui et la jeune fille avaient, pour ainsi dire, risqué leur vie ; cela allégea leur embarcation quelque peu. Mais ce ne fut que pour quelques instants.

L’eau montait toujours… Elle atteindrait leurs genoux, puis La Mouette coulerait à fond !

— Au secours ! cria Magdalena.

Hélas ! La brume met, en quelque sorte, une sourdine à la voix et rien ne répondit à son appel.

— Attends. Théo, fit Zénon.

D’un petit coffre il retira un porte-voix dans lequel il se mit à souffler à plusieurs reprises.

Ô joie ! Un autre porte-voix venait de répondre !

— Au secours ! Au secours ! cria Zenon, à travers le porte-voix.

— Où êtes-vous ? demanda l’autre porte-voix.

— Ici, tout près !… Nous sommes perdus dans la brume !… Notre chaloupe est crevée ! … Et nous coulons !

— Courage ! fit l’autre porte-voix. Nous allons aller à votre secours !

— Venez vite alors !

— Continuez à crier dans votre porte-voix ! J’y vais !

Ils avaient de l’eau jusqu’aux genoux maintenant. La Mouette donnait une forte bande par tribord.

— C’est fini ! sanglottait Magdalena. Nous coulons, « père Zenon » !

— Courage, Magdalena, courage ! Dieu est bon ; Il nous enverra du secours avant qu’il soit trop tard.

— Ô petit père, que c’est épouvantable !

— Magdalena, ma pauvre petite, si tu étais donc restée à La Hutte, ainsi que je t’avais demandé de le faire !

— Si, plutôt, je ne vous avais pas entraînée hors de notre route, petit père, répondit Magdalena, dans le but de pêcher du poisson ! C’est de ma faute, de ma faute !

— Vite ! Vite ! Nous coulons ! cria Zenon, dans son porte-voix.

— Jamais ils n’arriveront à temps ! pleura la jeune fille. D’ailleurs, écoutez donc Froufrou hurler la mort !

— Magdalena, ma petite, fit Zenon, nous allons être obligés d’abandonner la chaloupe…

— C’est la chaloupe qui nous abandonne plutôt, petit père !

— Oui ! Oui ! Je sais, pauvre enfant !… Mais, Magdalena, je te sauverai sois-en assurée. Je nage comme un poisson ; je te prendrai donc sur mon dos et je te maintiendrai au-dessus de l’eau jusqu’à ce que le secours nous arrive.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! Ô petit père que j’ai peur ! Je ne sais si…

— Aie confiance en moi, ma chérie, reprit Zenon ; je le répète, je te sauverai. Allons, petite. c’est le temps de sauter à l’eau, si nous ne