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le mystérieux monsieur de l’aigle

emmener Magdalena avec lui ; d’un autre côté, il n’aimait pas la laisser seule à La Hutte.

Vers midi pourtant, le soleil se montra et une brise légère dispersa les nuages. On commençait même à entrevoir le fond bleu du firmament.

— Tiens ! Voilà le firmament qui se « décrasse » ! pour parler comme Séverin Rocques dit Zenon, en riant et s’adressant à Magdalena. Nous allons profiter du beau temps et partir immédiatement pour le Portage. Nous ne nous amuserons pas là, et nous reviendrons le plus tôt possible. Qu’en dis-tu, Théo ?

— Je suis de votre avis, oncle Zenon. Partons ! Ils partirent. Mais bientôt, il fut évident que le soleil n’avait voulu faire qu’une très très courte apparition, car il y avait à peine une demi-heure que Zenon et sa compagne naviguaient, quand le ciel se chargea de nuages, de gros nuages noirs et courroucés.

— Nous aurions infiniment mieux fait de ne pas partir, se dit Zenon.

Enfin, on arriva au Portage. Le poisson fut remis à l’hôtelier, puis nos amis se disposèrent à s’en retourner chez eux.

— Temps incertain, Lassève ! fit l’hôtelier, lorsqu’il eut remis à Zenon le prix demandé pour le poisson.

— Très incertain, répondit Zenon. Si ce n’eût été que je vous avais promis de vous apporter du poisson aujourd’hui, je ne me serais pas risqué sur l’eau.

— Vous feriez peut-être mieux de ne pas risquer de retourner chez-vous maintenant, conseilla l’hôtelier.

— Il le faut, répondit Zenon.

— Je vous garderai bien jusqu’à demain, tous deux, et pour rien encore, si vous préférez rester, Lassève, reprit l’hôtelier. Croyez-moi, vous faites mieux d’attendre à demain pour partir.

— Impossible ! D’ailleurs, je n’accepterais pas votre hospitalité gratuitement, dit Zenon, non sans fierté. Tout de même, je vous remercie de l’offre généreuse…

— Gratuitement, dites-vous ? Pas la miette ! Théo me dédommagerait en nous faisant un peu de musique, ce soir. Nous allons avoir de la danse et…

— Une autre fois, une autre fois, répondit Zenon. Encore merci, cependant ; mais, je le répète, nous préférons retourner chez-nous. Ce fut dit d’un ton final. Viens, Théo !

— Vous avez tort de partir, grandement tort ! leur dit l’hôtelier, au moment où La Mouette quittait le rivage, puis il rentra dans son hôtel en haussant les épaules.

Mais précisément au moment où la chaloupe quittait les abords de l’hôtel, le soleil parut, brillant et chaud (trop brillant, trop chaud, auraient pu dire à Zenon Lassève des personnes d’expérience). Cependant, ce soleil semblait rire et se moquer des craintes exprimées par l’hôtelier, et ses rayons mirent un peu de confiance au cœur de Zenon. Tout en maniant les avirons avec courage, il se dit qu’ils seraient vite de retour à la Pointe Saint-André et en parfaite sûreté à La Hutte.

— Mon oncle ! Ô mon oncle ! Voyez donc… Le gros poisson !

Magdalena indiqua, à sa droite, un point où l’eau était agitée.

— Où cela, Théo ?

— Là ! À votre gauche à vous, à ma droite à moi ! Oh ! Si vous vouliez diriger La Mouette de ce côté ! Nous ferions une excellente pêche. Nous avons nos lignes…

— Tu n’y penses pas, pauvre enfant ! L’important, pour nous, en ce moment, c’est de nous en aller tout droit chez-nous. Or…

— Le poisson ! Il vient encore de sauter ! cria Magdalena. C’est un gros, un énorme poisson ! Oh ! s’il vous plaît, mon oncle !

Zenon regarda dans la direction indiquée… et ce fut sa perte. Il vit en effet, que l’eau était très agitée, et même il aperçut distinctement deux poissons sortir, un instant, des flots. Cela lui parut irrésistible !

En un clin d’œil, Zenon eut préparé les deux lignes de pêche, et bientôt, leur chaloupe arrivait à l’endroit enchanté… ou plutôt, poissonneux.

Si Zenon Lassève eut eu plus d’expérience, il se serait bien gardé de se laisser tenter ainsi ; il eut su que, en cette saison, nul ne doit s’attarder, sans raison grave, sur le fleuve St-Laurent. La brume… Il avait essayé d’expliquer à Magdalena ce que c’était que la brume ; il lui avait parlé de ses multiples dangers ; cependant, jamais il n’avait expérimenté la chose, et il est bien vrai de dire qu’expérience passe science.

Ce fut une pêche extraordinaire qu’ils firent ; chacun d’eux prit cinq gros poissons. Il est vrai qu’il y mirent beaucoup de temps, beaucoup plus de temps qu’ils ne se l’imaginaient.

Un hurlement lamentable de Froufrou fit soudain lever la tête à Magdalena et aussitôt, une exclamation de surprise et de frayeur jaillit de sa poitrine.

— Qu’y a-t-il, Théo ? demanda Zenon. Elle ne répondit pas en paroles ; mais, d’un geste expressif, elle désigna l’alentour.

— La brume ! s’écria Zenon. Elle nous entoure de toutes parts !

— Ciel ! Ô ciel ! Qu’allons-nous devenir ? fit Magdalena.

— Hélas ! Hélas ! répondit Zenon. Nous sommes égarés dans la brume et, je le crains fort, c’en est fait de nous !

— Mon Dieu, ayez pitié de nous ! sanglota Magdalena, tandis que Froufrou à l’avant de la chaloupe, continuait à hurler lamentablement.

XI

LE SAUVETEUR

Nous l’avons dit plus d’une fois déjà, Zenon Lassève était « homme à tout faire » ; nous aurions dû préciser cependant, qu’il était homme à tout faire, sur terre, car il n’était pas marin ; loin, bien loin de là ! En face de la terrible extrémité où lui et Magdalena se trouvaient, il ne savait trop qu’imaginer.

La brume les entourait ; une brume si dense, qu’on n’apercevait aucun objet, à plus de six