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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Au revoir, Théo, mon garçon ! Et bonne chance ! dit Séverin, qui, aussitôt, se dirigea vers le village de Saint-André.

— Au revoir, Séverin ! Et merci ! fit la jeune fille.

— Vous conduire nous à les îles Pèlerins ? demanda l’une des Anglaises. Mon amie, Miss Grant, et moi, nous vouloir y aller à ces îles ; nous le vouloir, oh !

— C’est bien, Madame, nous vous y conduirons, mon oncle et moi, répondit Magdalena. Veuillez me suivre, vous et Miss Grant.

— Vous apporter le mandoline à vous, Théo ?

— Oui, certainement, si vous le désirez.

— Et vous en jouer, du mandoline, et chanter aussi pour nous ?

— Certainement, si ça peut vous faire plaisir.

— Oh !… Cela rappeler à nous Venise, où nous être allées l’année dernière. Eh, Miss Grant ?

— Yes ! Yes !

On le sait, ce n’était pas la première fois que Zenon Lassève conduisait des excursionnistes aux Pèlerins ; lui et son « neveu » étaient devenus bateliers, aussi bien que pêcheurs à la ligne.

La traversée, aller et retour, se fît agréablement. Le soleil était radieux ; il n’y avait pas un souffle de brise, et La Mouette glissait doucement sur les eaux bleues du fleuve St-Laurent. Magdalena, assise à l’arrière Froufrou à ses pieds, amusait Miss Grant et sa compagne en chantant et s’accompagnant sur sa mandoline.

Il était sept heures du soir, lorsqu’on revint à la Pointe Saint-André. Un billet de banque d’assez haute dénomination paya amplement les bateliers pour leur peine.

— Tu dois être fatigué, Théo ? demanda Zenon Lassève, alors qu’ils étaient à table, ce soir-là.

— Pas trop, mon oncle ; un peu seulement. Mais je suis si heureux ici, que je ne ressens presque jamais de fatigue.

— Tu te reposeras demain, car il est assez rare que nous ayons des excursionnistes aux Pèlerins deux jours de suite. Vers les quatre heures de l’après-midi seulement, nous irons à la pêche. Après demain matin, jeudi, je dois livrer trois douzaines de poissons à l’hôtel du Portage, comme tu le sais.

— C’est bien, nous essayerons de persuader le poisson de se laisser prendre, répondit, en riant, Magdalena. Mais, demain avant-midi, j’ai une petite excursion, de projetée… Si vous désirez m’accompagner, mon oncle…

— Une excursion, dis-tu ? Où cela, mon garçon ?

— Je veux escalader ce rocher, dit-elle, en désignant une sorte de cap qu’on pouvait apercevoir de fort loin.

— Théo, dit Zenon, je suis toujours si inquiet lorsque tu t’aventures trop loin…

— Il n’y a pas d’inquiétude à y avoir à mon sujet, oncle Zenon.

— Ces rochers, pourtant… ils sont glissants comme des miroirs, à certains endroits. Or, une chute…

— Ne craignez rien, mon oncle ! J’ai le pied solide comme… comme un chevreuil. Je veux tant voir ce qu’il y a par delà cet immense rocher !

— Ce qu’il y a ?… Je puis te le dire, moi, et t’épargner une difficile ascension, fit Zenon en souriant. Par delà cet immense rocher, il y a… des rochers, et encore des rochers ; voilà tout.

— Qui sait ?… murmura Magdalena.

Le lendemain matin, vers les neuf heures, après avoir fait le petit ménage de La Hutte, Magdalena se prépara à partir pour son excursion.

Elle était bien modeste La Hutte, construite par Zenon Lassève, à l’extrémité de la pointe Saint-André. Elle n’était que d’une seule pièce, grande, il est vrai et toujours d’une extrême propreté, avec son plancher peinturé en jaune, sur lequel étaient tendus deux chemins de catalognes. Une table solide et stationnaire ; deux bancs, de chaque côté de cette table ; deux armoires, dont l’une pour la vaisselle et l’autre pour le linge ; deux lits, dont un, à l’avant de la pièce et l’autre à l’arrière ; ce dernier caché par des portières durant la nuit, car c’était là la chambre à coucher de Magdalena.

Comme on le voit, très rudimentaire était aussi l’ameublement de La Hutte que Zenon avait confectionnée lui-même. Il y avait, cependant, deux meubles très-confortables : un fauteuil et une chaise berceuse ; dans le fauteuil, Zenon Lassève passait bien des veillées, à écouter Magdalena lui faire la lecture à haute voix, ou bien à jouer de la mandoline, tout en se berçant doucement dans sa chaise berceuse.

La Hutte « tournait le dos » au village Saint-André. La porte d’entrée avait donc vue sur le fleuve St-Laurent. Cette porte, vitrée du haut au bas, et trois longues et larges fenêtres, laissaient libre accès au soleil, à la lumière, et permettait le regard de s’étendre dans toutes les directions.

Il était neuf heures et demie, lorsque Magdalena, accompagnée de Froufrou, partit pour son excursion. Inutile de dire si Zenon lui avait fait des recommandations, avant son départ, et s’il la suivit des yeux aussi longtemps qu’il le put, lorsqu’elle fut partie.

Malgré son amour des aventures, Magdalena dut s’avouer à elle-même que le chemin était difficile, très difficile, par endroits. Plus d’une fois aussi, elle se vit obligée de revenir sur ses pas, de redescendre un rocher difficilement escaladé, pour aller au secours de Froufrou.

— Ô Froufrou ! s’écria-t-elle, à un moment donné, et s’adressant à son chien, comme si elle eut senti le besoin d’entendre sa propre voix, au milieu du silence qui l’entourait. Ô Froufrou ! Si j’avais su que tu serais si maladroit, si malcommode, que tu ne pourrais pas escalader les rochers, sans mon aide, je t’aurais laissé à la maison !

Mais le chien fit une mine si déconfite, aux reproches de sa jeune maîtresse, que celle-ci ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras et de lui donner un baiser, sur le front, entre les deux yeux ; la paix était faite.

Enfin, elle atteignit le sommet du rocher, et