Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
le mystérieux monsieur de l’aigle

l’une des fenêtres de la cuisine, afin de donner aux curieux la chance de le voir et de parler ensuite, entr’eux, de ce qu’ils avaient vu.

Quant à Magdalena, ce n’est que lorsque les lumières s’éteignaient, en bas, qu’elle voyait son père adoptif et causait avec lui ; alors que ce dernier était sensé être allé se coucher, il veillait avec la jeune fille, et tous deux faisaient des projets de voyage, d’avenir. Inutile de le dire, ces veillées devaient se passer dans l’obscurité, car aucune lumière ne devait être vue, dans la chambre de Magdalena.

Pour revenir au lendemain des funérailles, le « père Zenon » ayant déposé sur le plateau le souper de Magdalena, alla le lui porter, dans sa chambre.

Lorsqu’il eut frappé à la porte, il entendit d’abord un joyeux aboiement de Froufrou, puis la voix de la jeune fille lui disant :

— Un instant, « père Zenon », s’il vous plaît.

— Prends ton temps, ma fille ; je ne suis nullement pressé.

Après quelques piétinements, Magdalena ouvrit la porte de sa chambre, et le « père Zenon » entra. Mais en apercevant la jeune fille, il eut une exclamation de surprise et il faillit laisser choir sur le plancher le plateau qu’il tenait à la main. Car, Magdalena portait un costume complet de garçon, et ce costume la changeait totalement.

— Magdalena… balbutia le « père Zenon ». Mais…

— Que pensez-vous de mon nouvel accoutrement, petit père ? demanda-t-elle. N’est-ce pas que c’est un bon déguisement ?

— Tu as l’air d’un garçonnet de quinze ans au plus, répondit le « père Zenon », et vraiment, ce déguisement est le meilleur que l’on puisse imaginer.

— J’ai taillé et cousu, sans relâche, pour finir ce costume à temps, dit-elle. Cette serge grise… vous vous souvenez peut-être que nous l’avions achetée, à la ville, pour que je m’en confectionne une robe ?

— Oui, je m’en souviens.

— Nous en avions acheté de la grise et de la brune. La serge brune, je l’emporte ; je m’en ferai un autre costume, plus tard.

— Tu es extraordinaire, Magdalena, extraordinaire ! Je te savais adroite à l’aiguille, mais…

— Aussitôt que vous le pourrez, « père Zenon », montez me tenir compagnie, n’est-ce pas ? Nous avons des projets à faire pour notre départ et notre voyage.

— C’est entendu, ma fille ! À tout à l’heure ! J’éteindrai les lumières de bonne heure, ce soir, et je viendrai te rejoindre ici.

Neuf heures et demie venaient de sonner, lorsque le « père Zenon » retourna rejoindre Magdalena. Elle portait encore son costume masculin, et quoique son père adoptif s’y fut attendu, il ne put réprimer un mouvement d’étonnement en l’apercevant.

— Quel gentil garçonnet tu fais, Magdalena ! s’écria-t-il.

— Vous trouvez, petit père ? répondit-elle en riant.

— Certes !

— Du moment que c’est un bon déguisement, je me déclare satisfaite.

— Nous allons être obligés de marcher toute la nuit, afin de nous éloigner de ce village le plus possible, dit le « père Zenon ». Au lever du soleil, nous devrions être déjà loin. Et, Magdalena… Mais, reprit-il aussitôt, je ne dois plus te nommer par ton nom : Magdalena… il va falloir que tu en choisisses un autre.

— Oui. J’y ai bien pensé et je…

— Écoute. J’avais, autrefois, un petit frère jumeau, que j’aimais de tout mon cœur… Il est mort à l’âge de quinze ans… Si tu voulais me faire un grand plaisir, ma fille, tu prendrais son nom…

— Mais, sans doute ! Comment se nommait-il votre petit frère jumeau, « père Zenon » ?

— Il se nommait Théodule.

Dans l’ombre, Magdalena fit une petite moue. « Théodule » ; ce nom lui paraissait trop ancien, trop long ; elle eut préféré s’appeler Jean, Paul, ou quelqu’autre nom de ce genre.

— Tu n’aimes pas ce nom, Magdalena ? demanda le « père Zenon » Alors, choisis-en un autre, ma fille.

— Pas du tout ! répondit la jeune fille. Théodule, ce sera très bien. Je n’y ai qu’une objection ; c’est que c’est trop long. Abrègeons-le ; dorénavant, je me nommerai Théo… Théo Lassève, pour vous servir ! ajouta-t-elle, en souriant et soulevant sa casquette.

— Théo… Oui, ce sera joli, répondit le « père Zenon », et je te remercie Magdalena, d’avoir…

Mais elle l’interrompit :

— « Théo », s’il vous plait, et non « Magdalena ». Il va falloir commencer dès maintenant, sans quoi nous risquerions de nous tromper un jour, ce qui pourrait entraîner de désagréables résultats. Je me nomme Théo Lassève, continua-t-elle ; je suis votre neveu. Vous êtes mon oncle ; mon oncle Zenon, à partir de ce moment. Qu’en dites-vous ?

— Je dis que c’est très bien… Théo, mon neveu.

— C’est entendu alors, mon oncle ! répondit Magdalena.

— Et maintenant, où irons-nous, en partant d’ici ?

— Dirigeons-nous vers l’est. Prenons le chemin qui conduit à Levis… Nous marcherons toute la nuit. Demain, nous nous installerons dans quelque bois, puis nous reprendrons notre route, aussitôt qu’il fera noir. Après demain, peut-être pourrons-nous nous risquer à prendre le train.

— Ce sera absolument comme tu le désireras, ma fille… Théo, je veux dire. J’ai préparé tout un panier de provisions de bouche, et j’apporte un petit bidon, dans lequel nous ferons du thé, lorsque nous le désirerons. Qu’apportes-tu, toi, Théo ?

— Je n’apporte qu’une petite valise, mon oncle, et tout est prêt pour quand sonnera l’heure de partir, de quitter, pour toujours, Dieu merci, ce village, où j’ai tant souffert.

Tous deux continuèrent à causer, à faire des projets, et l’heure passa assez vite. À un moment donné, Magdalena s’approcha de la fenêtre et regarda dehors. Pas une lumière ne