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le mystérieux monsieur de l’aigle

de louer le corbillard, pour les funérailles de Magdalena.

Ah ! Le voilà le « père Zenon » ! Il sort le dernier, car il a dû prendre la précaution de fermer à clef la porte de la maison, après s’être assuré que tout le monde en était parti.

Magdalena vit défiler ses propres funérailles… Elle vit le cortège pénétrer dans l’église… Elle entendit la cloche tinter lentement le glas…

Elle n’était pas sans comprendre, certes, la gravité de ce qu’ils avaient fait, elle et son père adoptif… Elle savait bien qu’ils péchaient, tous deux, contre la loi humaine… et la loi divine… Ce service qui se chanterait, dans quelques instants, sur un cercueil vide… Quelle moquerie, et combien cette moquerie devait déplaire à Dieu !

— Mon Dieu, pria-t-elle, puissent les chants et les prières qui se disent sur un cercueil vide, en ce moment, s’élever vers vous en supplications, pour le repos de l’âme de mon bien-aimé père !

Cette courte prière la consola un peu.

Quittant sa fenêtre ensuite, elle s’agenouilla et récita le rosaire, après quoi, s’étant assise, elle attendit…

Tout à coup, la cloche de l’église tinta ; c’était le libera.

Magdalena se leva et s’approcha, de nouveau, de la fenêtre. Bientôt, elle vit le convoi se dirigeant vers le cimetière, qui était en arrière de l’église et qu’elle ne pouvait conséquemment pas apercevoir, de sa chambre… Le dernier acte du plus émouvant des drames allait se dérouler dans le cimetière : le cercueil, sensé contenir les restes mortels de Magdalena Carlin, serait, dans quelques instants, descendu dans une fosse et recouvert de six pieds de terre…

Des larmes coulaient, pressées, sur les joues de la jeune fille… Elle songeait aux terribles émotions par lesquelles devait passer son père adoptif, en ce moment… S’il survenait quelqu’accident !… Si, en maniant le cercueil, quelque chose arrivait… Ces deux morceaux de bois, par exemple, qui avaient été enroulés dans le traversin… s’il fallait, par quelqu’horrible malchance, qu’ils se fussent déplacés, dans le transport, de la maison à l’église, et qu’ils se missent à rouler dans le cercueil ! À cette pensée, Magdalena sentit ses cheveux se dresser sur sa tête et son sang se glacer dans ses veines.

— Ô Dieu tout-puissant, s’écria-t-elle, en joignant les mains, ne permettez pas cela, ne le permettez pas ! Ça serait si, si épouvantable, mon Dieu ! Ne le permettez pas ! Ne le permettez pas ! Je n’ai pas voulu vous offenser, mon Dieu, reprit-elle ; je désirais seulement me protéger moi-même. N’appesantissez pas votre main sur moi, je vous en supplie, Seigneur !

N’étaient-ils pas longtemps, bien longtemps, dans le cimetière ? Ne devraient-ils pas en être revenus maintenant ? Qu’y avait-il ? Bien sûr, quelque chose était arrivé… N’aurait-on pas eu le temps d’enterrer deux, trois cercueils ?… Oui, il devait être arrivé quelque chose… Et le « père Zenon », qu’adviendrait-il de lui, si quelque catastrophe était survenue ? Ce pauvre « père Zenon », qui avait tant essayé pourtant de combattre l’idée de sa fille adoptive ; celle de se faire passer pour morte… Ciel ! Pourquoi n’avait-elle pas eu la pensée de lier les morceaux de bois au traversin, au moyen de fortes cordes ? S’il fallait ! S’il fallait ! Car, elle ne pouvait plus en douter, lui semblait-il, il était arrivé quelque chose… Pas une âme ne paraissait, aux abords du cimetière… ils étaient tous auprès de la fosse… à regarder le cercueil… vide… et bientôt, une foule hurlante se dirigerait vers la maison ; on viendrait demander à la « fille du pendu » compte de sa conduite…

Elle crut qu’elle allait s’évanouir… Ses jambes se dérobaient sous elle… elle allait tomber…

Mais voilà qu’on quittait le cimetière, enfin ! Non, il n’était rien arrivé, car tous causaient entr’eux, puis se séparaient par petits groupes ; chacun retournait chez soi.

— Ô mon Dieu, soyez béni, mille fois béni ! s’écria Magdalena.

Voici le « père Zenon » ! Il s’en revient à la maison, mais il n’est pas seul ; Jacques Lemil et son fils l’accompagnent. Magdalena ne put s’empêcher de sourire tristement, car elle devinait bien que son père adoptif eut de beaucoup préféré n’être pas accompagné. Mais peut-être ces deux hommes n’entreraient-ils pas dans la maison ? C’était à espérer.

Dans tous les cas, comme d’autres personnes se dirigeaient du même côté que le « père Zenon » et les Lemil, et que, probablement, ils ne manqueraient pas de jeter les yeux sur la maison, de laquelle venait de sortir un cercueil, la jeune fille se retira de la fenêtre. Il ne fallait pas risquer qu’on l’entrevit, et quoique les rideaux fussent très épais et que le risque d’être vue n’était pas grand, on sait qu’un excès de prudence n’a jamais nui.

Jacques Lemil et son fils furent à peu près dix minutes dans la maison. Le « père Zenon » parlait, très fort, et Magdalena comprit pourquoi ; c’était pour l’avertir qu’il n’était pas seul.

Ces dix minutes que le marchand et son fils passèrent dans la maison, parurent longues comme dix heures à la jeune fille. Elle s’était assise sur son lit et elle n’osait pas bouger. Le moindre bruit, le moindre craquement du plancher la trahirait.

Soudain, elle porta la main à son cœur et elle sentit qu’elle pâlissait : il lui était resté une sorte de rhume, de sa dernière maladie et à chaque instant, une petite toux sèche lui venait. Elle sentit qu’elle allait tousser ! Ce serait terrible ! Que faire ?

Vite elle cacha son visage dans ses oreillers, ce qui étouffa le bruit qu’elle dut faire en toussant. Mais, n’avait-elle pas été entendue, d’en bas ?…

Craintivement, elle leva la tête et écouta… Mais, voilà qu’elle entendit le bruit de chaises remuées ; les Lemil se préparaient à partir… Quel soulagement pour le « père Zenon » ! Et pour elle, Magdalena ! Qu’ils avaient été longtemps ces deux hommes, et quel martyr avait