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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Et ainsi, sur de simples soupçons… commença l’boscot.

— Rangez-vous, et laissez-nous entrer, M. Corbot ! dit le détective d’une voix rude. Je n’ai pas de temps à perdre en pourparlers, si je veux prendre le train de minuit dans dix, pour la ville, ce soir.

— Entrez, Messieurs ! répondit le bossu, et… grand bien vous fasse ! ajouta-t-il, avec un ricanement, qui sonnait faux pourtant.

La perquisition eut lieu ; mais on ne trouva rien.

— Eh ! bien ? demanda Martin, d’un ton gouailleur, au moment où les deux hommes se disposaient à partir.

— Nous n’avons rien trouvé, répondit le détective, qui partit aussitôt, se dirigeant vers la gare.

— Non, nous n’avons rien trouvé, M. Corbot, répéta Hector Servant. Tout de même, je vous soupçonne d’avoir fait quelque… farce… et je vous soupçonnerai toujours.

— Ah ! Bah ! fit l’boscot.

— Je le répète, je vous soupçonnerai toujours et quoiqu’il arrive à mon client, j’aurai l’œil sur vous, dit l’avocat. Vous comprenez ce que je veux dire, hein ?… Vous aurez soin de marcher droit, dorénavant, car, au premier faux pas que vous ferez, que vous ébaucherez seulement, quand ça ne serait que dans cinq, dix, quinze ans d’ici, je… je vous rejoindrai bien, Martin Corbot, et alors, gare à vous !

— Vous me menacez, je crois, Monsieur ? demanda Martin.

— Je vous avertis, M. Martin Corbot, répondit Hector Servant. Eh ! bien, ajouta-t-il, adieu ! Au revoir peut-être ! À bientôt, je n’en doute pas ! acheva-t-il, gouailleur à son tour.

Le procès d’Arcade Carlin ne traîna pas. Malgré toute la peine qu’il se donna, tous les efforts qu’il fit, Hector Servant ne parvint pas à prouver l’innocence de son client.

Arcade Carlin fut condamné à mort, et il expira sur l’échafaud le crime d’un autre…

Ce fut la plus tragique des erreurs judiciaires !

Fin de la première partie


Deuxième Partie

THÉO

I

HORREURS

Nous avons laissé Magdalena, au moment où elle venait de s’évanouir, après avoir constaté qu’elle était couchée dans un cercueil !

Son évanouissement ne fut pas de longue durée. Bientôt, elle ouvrit les yeux, et aussitôt, lui revint la connaissance de ce qui l’entourait… Allait-elle s’évanouir de nouveau ? Elle se sentait faible, faible comme un enfant ; incapable, conséquemment, de réagir contre l’excessive frayeur qui l’envahissait… Elle savait si bien ce que rencontreraient ses yeux, lorsqu’elle les ouvrirait : ces décors funèbres, le cercueil, le crucifix, entre deux cierges allumés… Non, elle ne pourrait pas supporter cela !…

Pourtant, elle n’allait pas risquer de se rendormir… Elle venait de se réveiller d’un sommeil léthargique, qui avait trompé les plus connaissants… Ne devait-elle pas une grande reconnaissance envers Dieu ?… Encore quelques heures probablement de ce sommeil qui ressemblait tant à la mort, et on l’eut enterrée vivante !…

Une sueur d’angoisse mouilla ses tempes à cette pensée… Elle sentit qu’elle allait s’évanouir de nouveau, si elle n’essayait pas de réagir contre l’horreur qu’elle ressentait… et si elle s’évanouissait, en reviendrait-elle encore cette fois ?

Allons ! Du courage ! Enfin de compte, il ne s’agissait que de se raisonner un peu ! Elle était vivante, vivante ! Par un simple effort de sa volonté, elle pouvait, si elle le désirait, quitter immédiatement sa couche funèbre ; devait-elle hésiter, même un instant ?…

Magdalena ouvrit grands les yeux et elle essaya de s’habituer à son entourage… Ce fut affreux, et le cœur lui manqua plus d’une fois. Mais enfin, elle se leva debout dans son cercueil, puis, en un élan, elle sauta par terre… Ses jambes pourraient-elles la supporter ?… Elle avait été si malade, et elle venait de passer par de si épouvantables trances !

Oui, ses jambes la supportaient… Elle essaya quelques pas et fut toute étonnée de constater que sa démarche était assurée.

Tout de même, ce fut d’un pas quelque peu hésitant qu’elle se dirigea vers la table sur laquelle était le crucifix, et les cierges allumés.

S’étant agenouillée, elle fit un acte sincère de remerciment ; n’avait-elle pas été sauvée de la plus horrible des morts ?… Si elle se fut éveillée quelques heures plus tard, alors qu’elle eut été enterrée !… Six pieds de terre sur son cercueil !… L’épouvantable désespoir qu’elle aurait éprouvé !… Puis, la mort par la suffocation !…

— Ô mon Dieu, combien je vous remercie ! s’écria-t-elle, en éclatant en sanglots.

S’étant relevée, elle se trouva en face d’un petit miroir, dont le « père Zenon » se servait lorsqu’il se faisait la barbe. Un cri s’échappa de sa poitrine, puis elle se retourna, croyant qu’il y avait une autre personne qu’elle dans la salle… Car… non !… Ça ne pouvait être Magdalena Carlin, cette jeune fille dont le visage se reflétait dans la glace !… Ces joues creusées et blanches comme… comme la mort, ces lèvres, blanches aussi ; ces yeux cernés de bistre, ces grands yeux bruns, qui lui mangeaient littéralement la figure !…

De nouveau, Magdalena se retourna et regarda derrière elle… Elle était seule, bien seule dans la pièce… Ce visage si effrayant à voir, c’était le sien !… N’était-ce pas épouvantable, et redeviendrait-elle jamais comme elle l’était auparavant ?…

Il y avait quelque chose de fort étrange aussi dans son apparence, hors ce qu’elle venait de constater… Qu’était-ce donc ?… Ah !…