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le mystérieux monsieur de l’aigle

vrait les marchandises, dans le village, et qui, parfois, servait les pratiques, il dit :

— François, je vais te laisser le magasin en soin. Je suis obligé d’aller chez moi.

— Vous êtes malade, M. Carlin ? demanda le garçon. Vous êtes certainement bien changé.

— Je… Je ne me sens pas très bien… balbutia Arcade. Mais je serai de retour dans une heure, à peu près.

— C’est bien, M. Carlin, répondit François. Ne vous inquiétez de rien ; j’aurai l’œil au magasin… et le bon !

— Merci, François… Si M. Lemil revient, avant mon retour, dis-lui… dis-lui… que j’ai été obligé de retourner chez moi. Au revoir, mon garçon !

— Au revoir, M. Carlin !

Arcade partit pour sa maison. Retrouverait-il tout à l’ordre, en arrivant l’argent était-il en sûreté, dans la petite cassette, cachée sous une pile de linge ?… Oh ! Si quelqu’un était entré chez lui, durant son absence et lui avait volé ses trois mille dollars ! Quelle catastrophe !

Cette pensée lui fit hâter le pas ; de fait, il se mit à marcher si vite que cela attira l’attention de plus d’un. D’ailleurs, si Arcade eut pris la peine d’observer ce qui se passait autour de lui, il se fut aperçu que tous ceux qui le regardaient passer, l’indiquaient du doigt et chuchottaient entr’eux.

En passant devant l’école, la pensée de Magdalena se présenta si clairement à l’esprit de son père qu’il se mit à courir, tant il lui tardait de constater qu’il n’était rien arrivé à sa petite fortune ; car, si l’argent lui avait été volé, adieu aux beaux rêves qu’il avait faits pour son enfant, et Magdalena en serait tellement peinée, qu’elle en ferait assurément une maladie.

S’apercevant soudain qu’il courait, et qu’on l’observait curieusement, Arcade se remit à marcher posément. Mais, tout, à coup, il eut une sensation désagréable et étrange : celle d’être suivi.

Voulant en avoir le cœur net, il s’arrêta, puis, faisant volte-face, il aperçut deux hommes, des étrangers au village, et habillés à la dernière mode, qui le suivaient… Mais, le suivaient-ils vraiment ?… Ce n’était qu’une supposition de sa part, en fin de compte, car les étrangers causaient ensemble et ne paraissaient pas s’occuper de lui.

Afin de s’assurer si ses suppositions étaient correctes, Arcade enfila une petite rue (une sorte de ruelle plutôt), puis, ayant marché pendant quelques instants, il se retourna et regarda ce qui se passait derrière lui : oui les hommes étaient là ; ils le suivaient… Pourquoi ?… C’étaient des voleurs peut-être ?… Les vols, au grand jour, étaient choses rares cependant !

— Il faut que je m’assure si ces hommes me suivent, se dit-il. Je vais me diriger vers la maison. Allons !

Ayant fait les détours, il se livra au même jeu que précédemment. Mais les deux hommes avaient disparu.

— Je me serai trompé, se dit Arcade. Je suis nerveux à un tel point, depuis que j’ai appris la nouvelle du meurtre de Baptiste Dubien et le vol de ces trois mille dollars !… Trois mille dollars !… reprit-il. Quelle singulière coïncidence !

Après s’être, encore une fois, assuré qu’il n’était pas suivi, Arcade pénétra dans sa maison. Tout paraissait à l’ordre.

Se dirigeant à la hâte vers sa chambre à coucher, qui ouvrait sur la salle d’entrée, près de la cuisine, il s’empressa d’ouvrir le tiroir de son bureau de toilette afin de s’assurer que la cassette était bien là où il l’avait laissée…

Oui, la cassette était bien là où il l’avait mise, Dieu merci ! L’ouvrant, à l’aide d’une petite clef, il vit qu’elle contenait encore les trois billets de banque américains de $1000.00 chacun.

Déposant la cassette et son contenu sur le bureau, Arcade se mit à chercher la lettre de sa marraine ; mais bientôt, il devint évident qu’elle n’était pas dans la chambre à coucher. Il se rendit donc dans la salle et là aussi, il fit de minutieuses mais vaines recherches.

Dans la cuisine maintenant ! Il se souvint, tout à coup, qu’il avait lu la lettre de Mme Richepin, dans la cuisine, alors que Magdalena était à préparer le souper… Mais, la lettre fut introuvable… et introuvée…

Soudain, les yeux d’Arcade Carlin tombèrent sur la boîte à bois ; la lettre était peut-être tombée dedans… Hélas ! La boîte était vide ! Il l’avait vidée lui-même, il s’en souvenait à présent, ce matin-là !… Craignant d’arriver en retard au magasin, il avait jeté tout le contenu de la boîte dans le poêle, puis y ayant ajouté du bois sec, il y avait mis le feu…

— Grand Dieu ! s’exclama-t-il. J’ai brûlé la lettre de Mme Richepin ; la seule preuve que je possédais que ces trois mille dollars me venaient d’elle, qu’elle me les avait envoyés, dans une lettre non-enrégistrée, de la Nouvelle Orléans !… Que faire ? Que devenir ?…

Une sueur d’angoisse pointa à son front. Il tomba assis sur une des chaises de la cuisine et, les deux coudes appuyés sur la table, il se mit à sangloter tout haut, tout d’abord, puis il se livra à d’amères réflexions… Dans quelle affreux embarras le mettait la disparition de la lettre de sa marraine ! Quelles preuves avait-il maintenant que ces trois mille dollars lui venait de Mme Richepin ?… Ah ! si cette dame avait donc, pour une fois, agi comme la généralité des gens ; si elle lui eut envoyé cet argent dans une lettre enrégistrée !… Une lettre enrégistrée laisse des traces, et aujourd’hui Arcade ne serait pas dans une situation aussi précaire… Car, il pouvait pas se le cacher à lui-même, il était dans un affreux pétrin ; un pétrin dont il sortirait très difficilement…

Il n’était plus question maintenant de déposer ces trois mille dollars dans le coffre-fort de Jacques Lemil… Au contraire ! Cet argent, il fallait le cacher… là où personne ne pourrait le trouver… et cet argent devrait rester dans sa cachette, tant que le voleur des trois mille dollars de Baptiste Dubien n’aurait pas été découvert…

Mais, où cacher l’argent ? Où ?

Ah !… Arcade venait de découvrir une cachette sûre : dans la cave, sous une des pierres. plates qui recouvraient le sol… Oui, il