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le mystérieux monsieur de l’aigle

que… une assemblée, dans le genre de celle à laquelle vous aviez assisté, vous.

— Oh ! Mme d’Artois, s’exclama Séverin, en pâlissant davantage, n’avez-vous pas été… épouvantée, lorsque vous avez appris le secret de cet homme ? Épouvantée pour Magdalena, je veux dire ?

— Mon épouvante a été telle, Séverin, que j’ai failli m’évanouir.

— Je le crois sans peine !

— Ce secret de M. de L’Aigle, nous sommes plusieurs à le savoir maintenant…

— Plusieurs, dites-vous ? Mais ! Il y a vous et moi…

— Et Mme de St-Georges, et Eusèbe.

— C’est bien vrai !

— Cependant, à nous quatre, nous garderons le secret et jamais Magdalena ne s’en doutera même. D’ailleurs, Séverin, le risque sera beaucoup moins grand maintenant, puisque M. de L’Aigle a démissionné… comme membre du… du Club Astronomique, vous savez.

— Démissionné ?

— Mais, oui ! Ce voyage est le dernier qu’il fait… Vous comprenez ce que je veux dire ?

— On se demande comment il se fait qu’un homme si… si distingué que M. de L’Aigle soit… soit…

— C’est incompréhensible, en effet, mon ami, répondit Mme d’Artois, et il est probable que nous n’aurons jamais la solution de cela. Dans tous les cas…

— J’ai juré à M. de L’Aigle que je ne desserrerais jamais les dents sur ce que je sais de lui.

— Je suis prête à jurer la même chose, fit Mme d’Artois… Séverin, ajouta-t-elle très gravement, faisons un serment solennel ; celui de ne jamais révéler à âme qui vive ce que nous savons.

— J’en fais le serment ! Je le jure ! dit le brave garçon en levant la main.

— Et moi aussi, je le jure ! s’écria Mme d’Artois, levant la main, elle aussi.

Certes, il serait gardé fidèlement le secret de Claude par ces deux sincères amis de Magdalena !

VIII

CHANTAGE

Magdalena était allée à la Rivière-du-Loup. Partie à dix heures de l’avant-midi, elle ne serait de retour que vers les sept heures du soir. Claude étant absent, elle avait projeté ce voyage, la veille, avec Mme Thyrol ; elles passeraient la journée ensemble, toutes deux, à courir les magasins et à s’amuser.

Onze heures de l’avant-midi venaient de sonner. Mme d’Artois, occupée dans sa chambre à coucher, entendit tout à coup frapper à sa porte

— Entrez ! dit-elle. Ah ! ajouta-t-elle aussitôt. C’est vous, Suzelle ? Qu’y a-t-il, ma petite ?

Mme d’Artois, annonça la fille de chambre, M. de L’Aigle est en bas et il désire vous parler.

M. de L’Aigle ? Il est donc de retour ?

— Il ne fait qu’arriver, répondit Suzelle.

— C’est bien. Je vais descendre immédiatement.

Quand la jeune fille eut quitté sa chambre, Mme d’Artois ouvrit le coffret contenant la lettre qu’elle avait trouvée, dans l’étude. Cette lettre, elle la glissa dans sa poche de robe, puis elle descendit à la bibliothèque, où Claude l’attendait.

— J’ai été fort surprise d’apprendre, par Suzelle, que vous étiez de retour, M. de L’Aigle, dit-elle. Cette pauvre Magdalena va tant regretter d’être sortie ! Elle est allée passer la journée à la Rivière-du-Loup, en compagnie de Mme Thyrol. Elle était loin de vous attendre si tôt.

— Je savais que Magdalena était absente, Mme d’Artois, répondit Claude.

— Vous le saviez, dites-vous ?

— Oui. Nous nous sommes croisés en chemin.

— Vraiment ? Alors…

— Magdalena ne m’a pas vu ; mais moi, j’ai, naturellement, reconnu notre équipage.

— Vous avez à me parler ? questionna la dame de compagnie.

— Oui, Madame… Je voulais vous demander si… si vous aviez trouvé cette lettre… que… dont…

— Je l’ai trouvée. La voici, M. de L’Aigle, répondit-elle, en tendant à Claude l’enveloppe longue et étroite dont il a été question déjà.

— Merci, Madame ! s’écria Claude, avec un soupir de soulagement et arrachant littéralement l’enveloppe des mains de Mme d’Artois. Vous… vous avez pris connaissance de cette lettre, je le présume ? demanda-t-il.

— Oui. J’ai dû en prendre connaissance… Pouvais-je faire autrement ?… Devais-je risquer de mettre en sûreté une lettre sans importance et laisser traîner dans la maison le véritable document ?

— Bien sûr que non ! C’eut été ridicule… tragique en même temps… Et, qu’avez-vous à me dire, Mme d’Artois ?

— Rien, M. de L’Aigle.

— Rien ? Vraiment ? Ni récriminations, ni reproches, ni même de malédictions ? fit Claude avec un sourire quelque peu narquois.

— Je le répète, je n’ai rien, absolument rien à dire, M. de L’Aigle. Il ne m’appartient pas de vous… vous juger… Savez-vous, ajouta-t-elle avec un sourire qui avait quelque chose de pathétique, je suis portée à vous plaindre plutôt qu’à vous blâmer.

— Votre charité est exquise ; elle ne connait pas de bornes, dit-il en souriant, et je…

— Si j’avais appris votre… secret lorsque vous courtisiez Magdalena, j’aurais fait, je ne m’en cache pas, tout au monde pour empêcher le mariage, car… Oh ! s’exclama-t-elle soudain, en cachant son visage dans ses deux mains, dites-moi, M. de L’Aigle, depuis combien d’années avez-vous… avez-vous… ce secret ?

— Depuis près de quinze ans, Madame.

— Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu ! Alors, c’est vous qui… Maître tout-puissant ! C’est horrible, horrible !

— Je sais à quoi vous pensez… à quoi vous