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le mystérieux monsieur de l’aigle

térieux Monsieur de L’Aigle »… Ce n’est certes pas sans raison qu’on le nomme ainsi. Mais, il faut que je me hâte ! Si Magdalena, inquiète de mon absence, se décidait à venir à ma recherche et qu’elle me trouverait ici ! Quelle catastrophe ! Elle qui aime tant son mari et qui a en lui une si entière confiance !

V

ÉTRANGES INCIDENTS

Claude était installé dans leur salon privé, lorsque, vers les six heures et demie, les deux femmes revinrent de leur excursion dans les magasins.

— Ô Claude ! s’écria Magdalena en apercevant son mari. Y a-t-il bien longtemps que tu es de retour ?

— Mais, non, ma chérie, répondit-il, depuis trois petits quarts d’heure seulement. Et avez-vous dévalisé tous les magasins de la ville ? demanda-t-il en souriant.

— Presque tous, fit la jeune femme, souriant, elle aussi. Que j’ai donc acheté de choses, et de belles choses ! ajouta-t-elle. Demain matin, on va me les expédier.

— J’ai bien hâte de voir tout cela, dit Claude.

— Ça bien été, à ton assemblée, Claude ? Tu n’es pas arrivé en retard ?

— Tout a bien été, Magdalena, et je suis arrivé à temps, assura-t-il, « sans rougir d’un tel mensonge », se disait Mme d’Artois.

Après le dîner, il offrit aux deux femmes de les conduire au théâtre ; mais Magdalena se déclara un peu fatiguée de ses courses de l’après-midi et Mme d’Artois dit avoir l’intention d’aller passer la veillée avec une de ses amies, qui demeurait non loin de l’hôtel.

Il eut été difficile de dire si Claude de L’Aigle fut déçu ou soulagé de leur décision ; Mme d’Artois était convaincue qu’il en avait éprouvé du soulagement ; pour une raison ou pour une autre, il ne tenait pas à sortir.

Les deux époux passèrent la veillée tranquillement dans leur salon, la porte entr’ouverte, à écouter l’orchestre de l’hôtel, qui jouait, dans le grand salon, en bas, et c’est là que les retrouva Mme d’Artois, lorsqu’elle revint de visiter son amie.

— Vous avez passé une agréable veillée, je l’espère ? lui demanda Claude.

— Très agréable, je vous remercie, M. de L’Aigle. Mon amie ne m’attendait pas ; sa surprise a été grande en m’apercevant.

— Nous, nous sommes restés ici, à écouter la musique, Mme d’Artois, fit Magdalena. Ah ! ajouta-t-elle aussitôt, voilà que c’est fini déjà ; l’orchestre joue Ô Canada !

— Vous ne vous asseyez pas, Mme d’Artois ? demanda Claude.

— Non, merci. Je crois que je vais me retirer pour la nuit. Je suis un peu fatiguée… Vous aussi, Magdalena, vous devez être lasse ?

— Je l’avoue, répondit l’interpellée en souriant, et je crois que nous allons suivre votre exemple. Qu’en dis-tu, Claude ?

— Comme tu voudras, ma chérie.

Ayant échangé des « bonsoir », chacun se retira dans sa chambre. Mme d’Artois occupait une pièce vis-à-vis le salon privé. Faisant suite au salon étaient les chambres des deux époux, séparées l’une de l’autre seulement par quatre grosses colonnes. D’épaisses portières, qui pouvaient se fermer complètement, donnaient à chacun l’illusion d’occuper une chambre séparée. Ces portières, cependant, n’étaient tirées qu’à moitié, car Magdalena n’aimait pas à se sentir trop seule dans sa chambre d’hôtel ; cela la rendait nerveuse.

Aussitôt couchée, la jeune femme s’endormit profondément. Vers le matin, elle fit un rêve qui l’effraya grandement : elle rêva qu’un malfaiteur avait pénétré dans la chambre de son mari. Ce malfaiteur, elle le voyait si clairement ! Il était recouvert d’un pardessus sombre, dont le collet était relevé au moyen d’un foulard noir qui lui cachait la bouche et le menton ; une casquette, dont la palette était rabattue, lui cachait le front et les yeux. Quel sinistre personnage ! Et que faisait-il dans la chambre de Claude ?

De ce rêve elle s’éveilla subitement, et instinctivement, ses yeux se portèrent vers la chambre de son mari. Aussitôt, elle tressaillit et une grande terreur l’envahit : son rêve de tout à l’heure devenait une réalité ; il y avait réellement un malfaiteur dans la chambre de Claude !

La pièce qu’occupait son mari était éclairée, quoique faiblement, et Magdalena vit, debout, non loin du lit de Claude, l’homme… le malfaiteur de son rêve ! Oui, le pardessus sombre, le collet relevé, le foulard noir, la casquette… Ciel ! Ô ciel ! Claude ! Son Claude ! Il allait être assassiné peut-être, dans son sommeil, si elle ne parvenait pas à l’avertir.

Elle voulut appeler son mari, attirer son attention sur le danger qui le menaçait ; mais nul son ne sortit de sa bouche. C’est qu’elle se sentait tout à coup presque paralysée de terreur ; le malfaiteur venait de retirer de la poche de son pantalon un objet brillant : un revolver ! Oui, Magdalena en était certaine, c’était un revolver ! La lumière n’étant pas bien bonne, elle n’eut pu en jurer ; mais…

— Claude ! Claude ! cria-t-elle enfin.

L’homme se retourna, puis, ayant déposé sur une table, sans que Magdalena s’en aperçut, l’objet qu’il avait tenu dans sa main, il fit quelques pas dans la direction de la chambre de la jeune femme ; celle-ci le regardait s’approcher les yeux fous de frayeur.

Mais voilà que celui qu’elle avait pris pour un malfaiteur enlevait sa casquette et son foulard, en même temps qu’il rabattait le collet de son pardessus et Magdalena reconnut, en celui qui l’avait tant effrayée… Claude, son mari !  !

— Claude ! s’écria-t-elle. C’est toi, Claude !

— Mais, oui, Magdalena, c’est moi, répondit-il, en s’approchant du lit de sa femme. T’ai-je effrayée à ce point, pauvre enfant ?

— Claude ! répéta-t-elle, comme si elle n’eut pu en croire ses yeux. Quelle heure est-il donc ?

— Il est six heures précises, ma chérie, répondit-il, en regardant l’heure à sa montre.

— Six heures seulement ! fit-elle. Mais ! D’où viens-tu à cette heure et ainsi accoutré ?