Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
le mystérieux monsieur de l’aigle

un jour qu’elle avait rencontré la secrétaire dans un corridor, avez-vous vu comme elle est belle, belle, notre petite Claudette ?

Ce-disant, elle s’était approchée d’Euphémie et avait découvert le doux visage du bébé qu’elle tenait dans ses bras.

— Ah ! Laissez-moi, hein, Rosine ! s’était écriée Euphémie, en repoussant rudement la bonne d’enfant, ça m’ennuie, moi, des bébés !

Magdalena, qui passait, à cet instant, l’entendit. Elle jeta un regard étonné sur la secrétaire et celle-ci eut la bonne grâce de rougir.

Chaque soir, après le dîner, Magdalena allait rendre visite à Claudette et s’assurer que tout était à l’ordre pour la nuit. La chambre de la petite était une grande pièce, dans laquelle le soleil pénétrait librement, à travers quatre longues et larges fenêtres. Attenant à cette chambre était un boudoir, dont Rosine avait eu l’idée, tout d’abord, de faire sa propre chambre à coucher ; mais elle avait fait mieux que cela ; elle partageait la même pièce que Claudette ; de cette manière, elle possédait un boudoir, ce dont elle n’était pas peu fière. Dans ce boudoir elle et Suzelle passaient d’agréables veillées. Si on avait demandé à Rosine qu’elle était la personne la plus heureuse du monde, elle eut répondu :

— C’est Mme de L’Aigle… Ensuite, c’est moi, puis Suzelle. Pensez-y ! J’ai la charge de Claudette, un vrai petit ange du bon Dieu ; je partage même sa chambre. De plus, je ne me prive vraiment de rien, puisque j’ai aussi mon boudoir privé, eut-elle ajouté en riant.

Un soir du mois de mai, Claude étant allé inspecter certaines améliorations que ses domestiques étaient à faire sur le chemin de voiture, Magdalena et Mme d’Artois s’installèrent dans le corridor d’entrée et causèrent ensemble. Mme d’Artois était toujours très étonnée de constater que Magdalena ne s’était jamais rappelée de cet entête de journal qui pourtant l’avait impressionnée au point de la conduire à deux doigts de la mort. Elle s’attendait, chaque jour, à ce qu’un incident quelconque se produisit qui lui rappellerait la chose. Le procès de Martin Corbot devait être à la veille d’avoir lieu. Quel effet ce procès aurait-il sur la jeune femme ? Mme d’Artois ne pouvait pas empêcher Magdalena de lire les journaux, bien sûr… alors…

— Je monte dire bonsoir à ma petite chérie, Mme d’Artois, dit soudain Magdalena, interrompant les réflexions de son amie. Désirez-vous m’accompagner ?

— Certes, oui, Magdalena ! La chère mignonne ! Je vous dis que ce bébé est une vraie merveille de finesse et de beauté ! Que vous devez être heureuse de posséder pareil trésor !

— Je le suis, croyez-le ! répondit Magdalena en souriant.

Pénétrant dans la chambre de Claudette, les deux femmes se dirigèrent vers le berceau, un vrai nid de broderies et de dentelles ; de plus un véritable chef-d’œuvre de sculpture, car ce berceau était un cadeau de Séverin. L’enfant dormait, les poings fermés. La jeune mère et Mme d’Artois l’admirèrent pendant quelques instants ; mais craignant de l’éveiller, chacune d’elles déposa un baiser sur le front de la mignonne, puis elles se disposaient à quitter la pièce, lorsqu’elles entendirent les voix de Rosine et de Suzelle, dans le boudoir ; alors, Magdalena et sa compagne prirent la direction de cette pièce.

— Oh ! Mme de L’Aigle ! s’écria Rosine, en se levant ; exemple que suivit Suzelle.

— Ah ! Vous êtes à faire de la broderie ? demanda Magdalena, en désignant l’ouvrage que les deux jeunes filles tenaient à la main. C’est un très agréable passe-temps. Mais, que brodez-vous donc ?

— C’est un patron que j’ai trouvé, dans un livre de modes, que Mme d’Artois m’a prêté, Madame, répondit Rosine, car Suzelle était bien trop timide pour parler ; elle se contentait de rougir. Nous sommes à broder un petit trousseau pour Claudette… et ça sera joli, je crois.

— Chères enfants ! fit Magdalena, dont les yeux devinrent humides. Mais, c’est que c’est magnifique ! Voyez-donc, Mme d’Artois !

— C’est un patron difficile ; et vous l’exécutez bien, toutes deux, dit Mme d’Artois. Qui vous a montré à broder ainsi ?

— Moi, je l’ai appris au couvent, répondit Rosine.

— Et Rosine m’a donné des leçons, à moi, acheva Suzelle.

— Voyez-vous. Madame, dit Rosine en souriant et s’adressant à Magdalena, travailler pour la chère petite, c’est un véritable bonheur pour nous, Suzelle et moi. Le beau petit ange ! Nous l’aimons tant !

— Vous êtes de bonnes et aimables jeunes filles, toutes deux ! s’écria la jeune mère, grandement émue assurément. Vous vous plaisez, à L’Aire, Suzelle ? demanda-t-elle.

— Ô Madame ! Si je m’y plais ! Jamais je n’ai été aussi heureuse de ma vie ! répondit la fille de chambre.

— Tant mieux ! dit Magdalena. Je tiens à ce que tous soient heureux ici.

Au lieu de retourner au corridor d’entrée, Magdalena et Mme d’Artois se rendirent à la bibliothèque.

— Tiens ! s’écria Magdalena. Le courrier est donc arrivé déjà. Ah ! ajouta-t-elle aussitôt, d’un ton déçu, il n’y a pas de lettres ; seulement des journaux et une revue !

Mme d’Artois s’empara de la revue ; la jeune femme déplia un journal et pendant quelques instants, on eut pu entendre le bruit de papier froissé. Mais tout à coup :

— Oh ! Oh ! Je me souviens !

C’était la voix de Magdalena qui venait de se faire entendre.

— Qu’y a-t-il ? demanda vivement Mme d’Artois, en s’approchant de la jeune femme, dont le visage était blanc comme un linge.

— Mon père… murmura Magdalena. Sa mort… sur l’échafaud… Il était innocent… Martin Corbot, l’boscot… Oh ! Mme d’Artois ! je sais, maintenant ; je sais ce qui a déterminé cette maladie que j’ai eue. Ô ciel ! Ô ciel !

— Magdalena, chère enfant, ne vous désolez pas ainsi, je vous en prie !… M. de L’Aigle… Il pourrait entrer ici, d’une minute à l’autre… Comment lui expliqueriez-vous…