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LE SILO

Dit-on, sans hésiter ; cet homme est un menteur !
Le soir, au bord du trou, j’entends une rumeur :
Une voix forte dit : Commencez les cascades !
Il faut de temps en temps rafraîchir les malades ;
C’est l’hydrothérapie… un système parfait !
Qui produit sur les nerfs un merveilleux effet !
J’écoutais ahuri — soudain l’eau se déverse
Et tout autour de moi croule comme une averse !
En vain je me démène et je crie, à grands flots
L’eau perçant mes habits me glaçait jusqu’aux os,
Je pleurais, je riais, comme on rit dans ce gouffre
Où le damné se tord dans sa fosse de soufre…
Vous pâlissez, ma mère…
Vous pâlissez, ma mère… Arrête un seul moment :
On est faible à mon âge… un affreux battement
Me secouait le cœur… il se calme, j’écoute.

Hélas, mon pauvre enfant, que ce récit nous coûte,
Dit le père navré, quoi, dans ce lieu maudit
Tu n’as donc pu trouver un instant de répit… ?

Un jour, dit-il, je crus qu’attentif à ma plainte
Le ciel de ma douleur adoucissait l’étreinte :
Par un matin d’hiver, de bruine tout rempli,
Au fond de mon Silo j’étais enseveli,
Un tout petit oiseau, frêle, à l’aile bleuâtre,
À demi-mort de froid à mes pieds vint s’abattre.
Arraché tout à coup à mon affreux néant,
Je regardais l’oiseau tombé du trou béant :
— Oh ! le pauvre petit, d’où vient-il, me disais-je ?
Peut-être qu’emporté par le vent et la neige,
Il n’a pas sû trouver, seul, privé de ciel bleu,
Ce grain toujours laissé par la main du bon Dieu ;