Page:Bourette - Le Silo, 1880.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
LE SILO

Et pourtant c’est bien lui ! — cette femme qui serre
Ce soldat dans ses bras n’est pas une étrangère ;
Malgré ces traits creusés, ce visage flétri,
Tout son cœur a crié : Jésus ! voilà Henri,
Voilà mon fils ! Eh quoi tu nous reviens une ombre ?
Quels chagrins sur ta face ont mis ce masque sombre ?
Tu ne me souris plus hélas ? comme autrefois ;
Étrange est ton regard et tu parais sans voix ;
Mais tu reconnais bien ta mère ? ton vieux père ?
Parle ! l’air du foyer ranime et régénère !
Le passé n’a-t-il plus dans ton âme un écho ?
Qui donc t’a fait ainsi ?
Qui donc t’a fait ainsi ? — Ma Mère, le Silo.


IV


Il jeta loin de lui son havre-sac, ses hardes,
Et s’assit près du feu — sous des clartés blafardes
Sa tête s’accusait plus énergiquement.
Sa main pendait — Le chien la léchait doucement —
Il contemplait d’un œil vague, mélancolique,
Tous ces moindres objets du foyer domestique
Au souvenir du cœur toujours représentés,
Et si doux à revoir lorsqu’on les a quittés :
L’alcôve où tout enfant on dort près d’une mère ;
Le portrait de l’aïeul, usé, poudreux, sévère,
Qui semble prendre part dans son grand cadre noir
Au cercle de famille, aux lectures du soir.
Et quand il eût fixé tous les meubles en fête,
Remué jusqu’à l’âme, il détourna la tête :
— C’est donc pour moi, dit-il, tous ces apprêts joyeux ?
Pour moi !
Pour moi ! Des pleurs de sang roulèrent dans ses yeux :
Contre son large front tenant ses mains pressées,