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organe du gouvernement, n’y avait fait allusion. Sans doute, les journaux en avaient confié le secret à leurs lecteurs, mais avec une circonspection avivée par le zèle paternel de la censure. Et la Russie, se réveillant brouillée avec le Japon, apprit du même coup qu’elle était en difficultés avec lui.

Le peuple commençait de poser des questions et le gouvernement se frottait les yeux, lorsque, sans intervalle décent, trois jours après, le 9 février, une terrible canonnade les fit sursauter : c’étaient le Césarevitch, le Retvizan, le Pallada, qui, endormis à Port-Arthur, étaient soudain, par une nuit noire, entraînés dans la danse macabre des torpilles japonaises. Cette fois, on ne pouvait plus s’y tromper, c’était la guerre : le peuple en fut atterré, et mit près d’une semaine à s’enflammer : arrivé à Saint-Pétersbourg le 5 février, j’ai été le témoin attentif de sa stupeur, puis de son affliction, puis de la fièvre ardente qui tout à coup le saisit, l’affola, jeta pêle-mêle dans sa cervelle l’enthousiasme, l’espoir, les déceptions, une crédulité d’enfant.