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un jour, bientôt, et ce seront de nouvelles souffrances, de nouvelles résistances, de nouveaux chagrins… Comme c’est ennuyeux ! »

Le vieux maître dit ces choses en souriant, en riant presque. Tout le tragique de ces propos, je sens que je suis seul, à cette minute, à le ressentir. Il parle de sa mort comme il parlerait vraiment d’une course en traîneau dans un chemin défoncé par le dégel. Qu’il sourie donc à la mort : la mort est timide devant qui lui prépare des fêtes. À l’heure marquée, on l’accueillera ici sans surprise ; elle y trouvera un visage d’allégresse et un cœur intrépide, et, comme un fruit mûr, une vie qui se détachera sans déchirement au-dessus de son voile tendu. Sérénité du philosophe qui a médité sur les fins et les causes. Contentement du sage au crépuscule de sa destinée…

Mais je réfléchis aussi que Tolstoï est bien de sa race. L’accoutumance à l’idée de la mort est au fond de l’âme russe. Le paysan parle de la mort avec une paix confiante. Jadis il avait, dans un coin de son isba, son propre cercueil, et, quand il avait expiré,