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à demander au maître s’il avait lu cet appel de l’écrivain français[1].

— Oui, fit-il, j’ai lu en effet un extrait de cette lettre dans un journal russe.

— Vous n’y répondrez pas ?

  1. Dans cette lettre, M. Jules Claretie écrivait entre autres choses : « Est-ce que vous nous auriez trompés, mon cher Maître ? Est-ce que vous vous seriez trompé ? Au bout du chemin n’y aurait-il pas inévitablement un fossé lugubre, un trou profond, un gouffre, et n’allons-nous pas tout droit à une roche donnant à pic sur un précipice ? La guerre et la haine ne sont-elles pas des manifestations inévitables de l’activité humaine ? » Il disait aussi : « Votre vieillesse se retrouve face à face avec la réalité qui parut à la fois héroïque et sinistre à vos vingt ans. Vous aviez espéré le chasser, ce fantôme de l’égorgement, ne plus les revoir ces visions des heures de sang. Vous aviez tout essayé, tout fait pour verser un peu de douceur dans les âmes. Vous aviez dit, crié, redit aux hommes : « Aimez-vous les uns les autres ! Et voilà que, pareil à ce noble Gladstone qui hochait la tête en disant : « Je suis bien vieux, mais j’ai bien peur de voir encore une grande guerre avant de mourir », vous répétez à votre tour : « Devais-je voir ainsi finir mes songes ? » — Et encore ceci : « Vous percevez ce qu’il y a de glas dans la musique d’une marche de victoire. Et vous devez, le soir, faire, avec vos enfants, de la charpie pour les blessés ; mais vous avez assez de tendresse dans le cœur pour vous dire que les petits hommes fanatisés par la presse japonaise ont